Paroles de lit

 

Il y a un lieu où nous passons beaucoup de temps….. notre lit !

Choisissez un lit :

le vôtre ou celui d’un autre, un lit célèbre ou pas, 

un lit d’adulte ou celui d’un enfant

Prenez la parole à sa place

et écrivez ses mémoires

 

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Image de Freepik

 

 

Je me souviens du jour où un couple est rentré dans le magasin pour choisir un nouveau matelas en se plaignant de leur sommier actuel qui perturbait leur nuit par des grincements répétés. Le mari supportait mal les gémissements de sa femme liés à son obésité qui provoquait un penchement pernicieux du matelas la projetant systématiquement contre lui, ce qui l’empêchait, lui de bouger et elle de dormir.

Surpris et content des propos du vendeur qui en quelques mots a réussi à les convaincre de profiter de l’affaire de l’année composée d’un tout indissociable de qualité supérieure comprenant un lit, un sommier et un matelas.

Devant leur réticence à l’annonce du prix qui les faisait hésiter, je voyais le regard du vendeur s’illuminer devant l’importance de la commission qu’il avait déjà en tête et probablement à moitié dépensée.

C’est un ensemble esthétique, confortable, souple, interchangeable l’été et l’hiver, qui épouse les formes de votre corps et deviendra une œuvre d’art dans votre chambre. Essayez-le, vous n’allez plus le quitter. Et comme vous êtes sympathiques, je vous offre une superbe couette. Bien entendu, on vous reprend l’ancien et la livraison est offerte.

Cela fait maintenant plus de dix ans que je supporte ces deux énergumènes qui m'en ont fait voir des vertes et des pas mûres. J’ai même rêvé qu’avec tout ce que j’ai enduré, je mériterais bien de participer à un atelier d’écriture dans une autre vie afin de raconter la pauvre vie nocturne d’un matelas. Et si l’on organisait un prix littéraire réservé exclusivement aux matelas, j’aurais peut-être une chance ? Allez savoir !

- Pousse-toi, tu prends toute la place. - Laisse-moi un peu plus de couette.

- Tu pourrais arrêter de lire – Je n’ai pas sommeil- Je me lève de bonne heure, pendant que toi tu resteras au lit !

- Arrête de ronfler. Je ne ronfle pas ! Si tu ronfle.

-A travers des mouvements furtifs, j’ai observé une tentative d’approche pour déclencher un petit câlin.

Qui se concluait parfois par un j’ai mal à la tête. Tu parles d’un mal à la tête, elle a passé sa journée à parler avec ses copines ou regardait une série télé.

Ou bien, ma chérie, pas ce soir, j’ai eu une très rude journée. Tu parles d’une rude journée, il était au golf avec sa copine.

Et le pire, c'est en pleine nuit, lorsqu’un des deux se lèvent pour aller aux toilettes. Et l’autre bien réveillé, avec la lumière comme en plein jour qui lui dit en colère : tu ne pouvais pas aller pisser avant de te coucher !

Ou encore, il lui demande : est-ce que tu dors ? et l’autre de lui répondre : Non, tu ne vois pas que je te tricote un masque pour t’empêcher de dire des bêtises.

Je vais m’arrêter là, car il ne faudrait pas qu’ils me trouvent trop bavard et qu’à défaut de respecter le devoir de réserve..

Je ne veux pas finir à la décharge.

Christian

 

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Paris musées collection   Auteur:Lix, Frédéric Théodore (Strasbourg, 18–12–1830 - Paris, en 1897), dessinateur

 

 

 

Le lit de mort de Balzac

De la pièce où j'étais placé, on entendait Madame Hanska, Ewelyna pour les intimes, folâtrer avec son amant, le peintre Jean Gigoux, comme le raconte Octave Mirbeau, et je sentais Balzac se tourner et se retourner de souffrance physique et de mortification.  Il souffrait énormément et appelait à mon chevet le Docteur Bianchon, le médecin qu'il avait créé pour les besoins de sa Comédie humaine. C'est cela le génie d'un écrivain : donner une véritable vie à une personne inventée. Vous vous dites : "Voilà un lit bien philosophe !" Mais que voulez vous ?  Je cherche ma dignité où je peux. Car si être associé à un tel génie sublimait mon état d'objet, il faut bien avouer aussi que je puais considérablement.  Mon hôte illustre était affligé d'un œdème généralisé qui, aux jambes principalement, avait tourné à la gangrène. L'odeur pestilentielle que je dégageais à ma grande honte n'a pas empêché Victor Hugo de nous rendre visite.  Hélas, Balzac était déjà inconscient et allait mourir le soir même...

Je savais qu'on parlerait de lui jusqu'à la fin des temps.  Mais je ne savais pas que j'existerais moi-même aussi par la simple vertu d'un atelier d'écriture.

Suzanna

 

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Saint-Louis Justice sous le Chêne

 

 

Si un lit m’était conté …par lui

      Autrefois j’étais un chêne. Pas n’importe lequel. La preuve ? Saint Louis m’avait choisi pour rendre la justice sous mon ombrage.

   Un siècle plus tard on m’abattit. C’est en général le sort de tous les arbres.

    Une grande partie de ma personne fut transformée en poutres et meubles divers. Mais par bonheur, là où résidait mon esprit devint…un lit.

      Un superbe lit, à baldaquin bien sûr, à ciel bleu nuit fleurdelisé et à rideaux de velours pourpres. Un lit Royal quoi, qui, jusqu’à sa mort, fut celui de François 1er, à Chambord.

Vue la haute teneur morale de ce récit, je ne vous conterai pas ce que furent les mille et une nuits de mon bien-aimé souverain…et c’est fort dommage car cela nous aurait permis de passer un moment fort divertissant.

Quoiqu’il en soit, je servis à plusieurs générations de lieu de naissance, de reproduction, de rêves et de mort avant d’être transféré à Versailles. Et à ce propos, je peux vous assurer que Madame de Maintenon a reçu sous mon toit, les visites de son royal époux jusqu’à un âge… avancé.

    Puis, la Régence et les Lumières passant par là, on m’ôta mon baldaquin. Ce qui ne manqua pas de m’apparaitre comme un funeste présage.  Je ne me trompais pas.

     La Révolution m’ignora. J’en ignore les raisons, par superstition sans doute, et je commençais à ressentit les effets de l’abandon conjugués à ceux de l’humidité sur mon pauvre bois…lorsqu’un jeune et fringuant président eût l’heureux caprice de me faire intégrer le Palais de l’Elysée. Mais chut !! Non, non, n’insistez pas ! Il s’agit de Raison d’Etat, voyons !

Et je suis tenu à un devoir de réserve.

        El Pé

 

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Image par Peter H de Pixabay

 

 

Mémoire d’un lit

Depuis plusieurs années, je prends la poussière au fond du grenier. On m’a remisé ici et plus personne ne prête attention à moi. Pourtant, il fut un temps, pas si lointain, où je me sentais aimé, presque vénéré… Le jeune couple qui m’a acheté avait pris son temps pour me choisir et je sentais bien l’importance que revêtait pour eux cette acquisition. Elle attendait leur premier enfant et je représentais le symbole de ce changement dans leur vie.

Je suis constitué de barreaux arrondis, avec un espacement étudié entre chacun, pour éviter que bébé se blesse. Mon sommier possède deux positions qui suivent la croissance de l’enfant. À l’origine, j’arborais une belle couleur naturelle de bois brut, mais les parents m’avaient peint en jaune, un doux et tendre jaune. Ils avaient opté pour cette couleur, car ils ne souhaitaient pas connaître le sexe de leur premier enfant. Et ce fut un petit garçon, un petit ange tout rond, tout potelé, que j’accueillis avec joie et émotion. Je n’aspirais qu’à une chose : me faire le plus confortable, le plus rassurant, le plus moelleux, le plus doux de tous les lits à barreaux pour que Jules puisse s’épanouir et passer de belles nuits, peuplées de rêves délicieux. Pendant des années, je peux dire que j’étais un de ses endroits préférés, abritant ses doudous, l’accueillant pour ses nuits et ses siestes. Tout ne fut pas non plus rose pour moi et je connus ses cauchemars, ses poussées de température, ses fuites de couche et autres désagréments. Mais je sentais bien que je revêtais pour lui un visage rassurant et c’est tout ce qui m’importait : j’étais l’endroit de la maison où Jules passait le plus de temps et il semblait apaisé quand il me rejoignait – ce qui ne semblait pas être le cas pour tous les enfants dans la relation avec leur lit.

Mais au fil des mois, Jules grandissait et un jour, il voulut se lever seul : les barreaux le gênaient. Heureusement pour moi, ma conception était étudiée pour satisfaire à sa demande : ses parents retirèrent un côté du lit, permettant à Jules de sortir quand il le souhaitait. Et puis Jules continua à grandir et je devins trop court, mais surtout plus à son goût. Il voulait un modèle avec un tiroir en dessous pour ranger ses jouets et, plus tard, inviter ses copains à dormir. Alors, depuis qu’il a quatre ans, je suis relégué au grenier et je me sens inutile et impuissant. Je repense avec nostalgie aux années durant lesquelles j’ai accompagné Jules et je l’ai aidé à grandir.

Mais la semaine dernière, sa mère est montée au grenier et j’ai aperçu un ventre tout rond. Je l’ai entendue dire à son mari : « On a bien fait de choisir cette peinture jaune, ce sera parfait aussi pour notre petite Emma ! » Je suis le plus heureux des lits à barreaux, je vais enfin vivre de nouvelles aventures…

Fabienne

 

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Château de Kerjean 15 Lit clos -1650- et son berceau

 

 

Les aventures d’un lit clos

Si celui qui  m’a fabriqué pouvait me voir, il n’en croirait pas ses yeux ! Regorgeant de livres précieux, je trône dans le bureau d’un richissime homme d’affaires américain. Il parait qu’en ce début de XXIème siècle, il est terriblement tendance de nous transformer, nous les lits clos, en bibliothèque. Quand il m’a acheté chez un antiquaire, sur ma fiche était inscrit :  « ce lit-clos a appartenu à la Duchesse Anne de Bretagne », un sésame pour être convoité par un collectionneur fortuné.

La vérité est tout autre et moi seul la connait. J’ai été le cadeau de mariage d’un ébéniste à sa future épouse. Il m’a confectionné avec amour, dans un très vieux chêne, alors, je suis d’une solidité à toute épreuve. Mes pieds sont hauts pour protéger mes occupants de l’humidité du sol de terre battue. Je suis sculpté de galettes et de fuseaux, et j’ai un étage pour accueillir les enfants de la famille.

J’ai accompagné la vie de mes premiers propriétaires dans le bonheur comme dans la peine. J’ai connu les joies des naissances, mais aussi les pertes des enfants nouveau-nés, à une époque où la médecine était souvent impuissante. J’ai connu les froides nuits d’hiver où l’eau gelait et où mon bois protestait en craquant, réchauffé dans la journée par les buches qui crépitaient dans l’âtre. Je suis passé ainsi de la demeure des parents à celle des enfants, puis des petits-enfants, traversant les saisons de bonnes récoltes comme celles des famines où j’abritais le difficile sommeil des ventres affamés.

Puis, passé de mode et mis au rebut, j’ai traversé une période sombre sur laquelle je ne m’étendrai pas.  Enfin, un jour, je fus transformé en bibliothèque pour suivre la tendance. Des commerçants peu scrupuleux m’inventèrent un noble pedigree, et je fus mis en vente. J’attendis là pendant quelques années, puis mon heure de gloire arriva quand la mode, cette grande prêtresse pour laquelle les hommes sont prêts à toute les folies, décida que me posséder était le fin du fin, surtout si mon appartenance au passé faisait de moi un objet unique.

Et pour le moment je suis là, entretenu comme un joyau, mais demain, qui sait où je serai, si je suis déclaré obsolète.

Gill

 

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