Phrases choisies de Charles JULIET

 

 En 25 minutes, écrire un texte qui commence par :

« En entrant dans la cuisine, monsieur Germain, l’ancien maire, se décoiffe et il s’immobilise au milieu de la pièce, l’air embarrassé, pétrissant sa casquette de ses grosses mains rougies par le froid »

        Et se termine par :

« alors il se lève, et sans avoir touché à son verre, dans un silence lourd, il prend la porte. »

        Extraits de « Lambeaux » de Charles Juliet

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ADELE

 

En entrant dans la cuisine, M. Germain, l’ancien maire, se décoiffe, et il s’immobilise au milieu de la pièce, l’air embarrassé, pétrissant sa casquette de ses grosses mains rougies par le froid. Il a repris ses fonctions en l’absence de son fils, le maire actuel, pendant sa mobilisation.

 

Il se tait. Aucun son ne peut sortir de sa gorge. Adèle, le chignon défait, se tient debout près de la fenêtre, tandis que ses parents, Paul et Clémence, sont assis près de l’âtre. Les flammes sont la seule source lumineuse qui éclaire pauvrement la pièce. Elles projettent des fantômes inquiétants sur les poutres noircies. Adèle est pétrifiée. Elle sait. Cette histoire sans paroles se renouvelle presque toutes les semaines. M. Germain a du mal à conserver sa dignité. Des larmes coulent doucement aux coins externes de ses yeux rougis.

 

C’est Pierre, finit-il par articuler. Il est tombé à Verdun…

 

Adèle ne dit mot. Elle pince les lèvres mais reste droite comme un cierge. Tout son environnement sombre dans la grisaille. Elle ne perçoit plus rien de ce qui l’entoure.

 

Clémence s’est effondrée et pleure à chaudes larmes sur le destin tronqué de son gendre et celui de sa fille, sur ces pauvres jeunes envoyés là-bas  défendre nos frontières sous les canonnades ennemies.

 

Paul se lève, la mine défaite, va péniblement chercher deux verres derrière la porte grinçante du buffet, ainsi que la bouteille de gnole servant, bon an, mal an, à fêter les heureux évènements ou à adoucir les moments malheureux.

 

Il pose le tout au bout de la table et remplit aux trois quarts les deux verres en invitant M. Germain à prendre place sur le banc de bois à côté de lui. Aucun des deux hommes n’arrive à rompre le silence.

 

M. Germain se mouche, essuie ses yeux, jette un regard compatissant à la pauvre Adèle.

 

Ces visites aux familles des soldats morts pour la France sont une rude épreuve pour lui.

 

Alors il se lève, et sans avoir touché son verre, dans un silence lourd, il prend la porte.

 

Mouty

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"En entrant dans la cuisine, Mr Germain, l'ancien Maire, se décoiffe et il s'immobilise au milieu de la pièce l'air embarrassé, pétrissant sa casquette de ses grosses mains rougies par le froid". C'est sa belle sœur  qui l'a conduit directement dans la cuisine, elle aimerait tant que les deux frères, jadis si proches, se reparlent. Et voilà, Germain s'en doutait, c'est trop tôt, Pierre  n'est pas encore prêt  à  l'écouter,  à entendre la vérité sur ce qui c'est passé le jour de cette terrible, dramatique  tragédie, mais Germain s'était  tellement dit et redit, il faut que j'y aille, il faut qu'il sache,  je ne peux pas continuer à repousser cette visite ; il était tout à fait conscient de ce qui pourrait arriver, subir l'affront  de son frère par un refus total de discussion sans un regard, un mot pour lui ; c'est ce qui arrive aujourd'hui ;il aimerait tant revenir en arrière et que cet accident maudit ne soit jamais arrivé, mais on ne peut pas, il faut essayer de vivre avec cette souffrance et espérer avec le temps qui cicatrise les plaies. 

 

 C'était il y a trois mois, Germain revoit le film de cette journée se dérouler, la chasse, sa passion, non partagée par Pierre qui était contre, mais par son filleul, le  fils de Pierre, oui; il  le harcelait sans cesse voulant à tout prix l'accompagner ; connaissant les idées de Pierre, Germain avait toujours refusé mais là, Jean avait été si convaincant, lui assurant que son père avait donné son accord  lui prêtant même son fusil, lui faisant confiance ; Germain ne pouvait se dérober puisque Pierre avait donné sa bénédiction, pourquoi lui ne ferait pas pareil ; comme il regrette aujourd'hui d'avoir été si naïf, de ne pas avoir demandé à son frère avant d'amener Jean avec lui, Jean qui avait menti à son oncle et aujourd'hui il le payait lourdement avec son handicap à porter, traînant sa jambe blessée  par ce malheureux coup de fusil, reçu à cause de son inexpérience qui l'avait fait mal se positionner. Pierre rendait Germain entièrement responsable, refusant tout dialogue, toute explication comme aujourd'hui. Mais Germain continuera de revenir, il laissera le temps passer, il sait que seul le temps lui donnera raison, qu'il pourra un jour expliquer à son frère, lui dire ses regrets et  combien il voudrait partager avec lui le poids de cette douleur, "alors il se lève, et sans avoir touché à son verre, dans un silence lourd, il prend la porte".

 

Rina

 

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« En entrant dans la cuisine, monsieur Germain, l’ancien maire, se décoiffe et il s’immobilise au milieu de la pièce, l’air embarrassé, pétrissant sa casquette de ses grosses mains rougies par le froid ». Combien de fois n’ai-je pas entendu Gilbert prononcer cette phrase quand il parle de cette histoire qui a longtemps fait partie des secrets de famille, ceux qui restent enfouis dans les mémoires avec leurs lots de non-dits, de silence, d’œillades gênées, de bouches closes sur ce qui aurait tant intérêt à être mis à jour et discuté pour éviter les ragots .

 

Cette histoire concerne sa grand-tante, la sœur de son grand-père paternel, Julien, dont la famille détenait alors en Touraine une petite exploitation agricole. Il y avait là, autour des parents, six garçons et quatre filles, dont Rose, de deux ans plus âgée que Julien. Celle-ci, magnifique jeune fille de 17 ans, était très amoureuse d’un fils de fermier du village, mais malheureusement les deux familles étaient brouillées à mort pour une histoire de terrain. Néanmoins les jeunes gens étaient si amoureux qu’ils vivaient sur un petit nuage et qu’ils commirent l’horrible faute, celle qui faisait perdre, à cette époque, l’honneur aux jeunes filles honnêtes. Jusque là, personne ne savait rien tant ils étaient prudents, mais quand le ventre de Rose s’arrondit, quel scandale ! La pauvre fille fut enfermée, rabrouée et surtout privée de son amour ; on lui raconta qu’il avait accepté de ne plus la revoir et de l’oublier, ce qui était faux, bien sûr, mais que dans son désespoir, elle avait cru. Alors un jour, la pauvre Rose s’était échappée et était allée se noyer, emportant avec elle son enfant, dans la rivière à la sortie du village. Lors des recherches, l’un des habitants avait trouvé son bonnet et son fichu accrochés à une souche d’arbre. C’était cela que Monsieur Germain, qui était leur ami, venait annoncer à ses parents.

 

Puis on ne parla plus de cette histoire qu’à voix basse, puis on n’en parla plus du tout pour cacher le déshonneur. Et la pauvre Rose fut bannie, sinon oubliée, dans les conversations. Seul Julien continua à l'évoquer et la livra, par bribes, à son petit-fils  Gilbert.

 

Immuablement, il termine cette histoire, l’air triste et la tête basse, comme s’il se mettait à la place de Monsieur Germain, accablé, un verre de vin plein devant lui, en disant : « alors il se lève, et sans avoir touché à son verre, dans un silence lourd, il prend la porte ».

 

      Gill

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