Singes, serpents et autres nourritures....( même les pires! )

 

 

Image par Rosina Kaiser de Pixabay

 

 

Singes, serpents... et autres nourritures. 

 

Nous voilà en Côte d'Ivoire depuis assez peu de temps. Nous avions vécu plusieurs années avant à Madagascar, fait des expériences extraordinaires pour moi car j'avais vingt ans et n'avais jamais quitté mon «trou"..., puis, des années encore plus tard, en Algérie, avec encore des expériences.

Mais la Côte d'Ivoire, c'était la "brousse" et non la ville, donc une vie bien différente. Nous vivions dans un camp, c'est à dire, avec de l'imagination, une sorte de très grand village composé de chalets de bois, érigé dans un "trou" taillé dans la forêt dense. Celle-ci était à cinquante mètres de notre case. Nous nous sentions donc vraiment en pleine sylve. Normal, puisque en plein dans la forêt tropicale. Tous les habitants de ce camp parlaient de leurs expériences personnelles, car expatriés depuis plus ou moins longtemps et dans des pays très divers... au hasard des soirées. Alors, nous avons eu l'occasion de discuter une fois, deux fois, trois ou quatre, avec le médecin du camp. De quoi? Du goût de la viande de singe. "A quoi ressemble-t-elle?" "A ...celle de singe!" répondait-il. Mais, tout en n'étant pas des forcenés des expériences, nous étions curieux de savoir.

Nous avons été servis...si je peux dire; par surprise, car Monsieur B., le médecin, était  un petit farceur. 

Un soir, nous étions invités chez nos plus proches voisins. Couple absolument charmant, que nous avons retrouvé plus tard au Congo. Ce soir-là était un peu particulier: c'était une "soirée-tête". Que veut dire cette expression? Chaque invité doit avoir un visage tout à fait  différent ...donc maquillé ou "orné". La maîtresse de maison avait simplement un "œil noir"; une jeune fille portait une guirlande d'épingles à nourrice en guise de boucle d'oreille, etc...

Réception très réussie, très agréable. Jusqu'au moment où le médecin, Monsieur B., est venu trouver Loulou en lui disant: «Vous avez une surprise chez vous: allez tout de suite dans votre cuisine!". Loulou est donc venu me trouver en me disant qu'il était nécessaire de faire un petit tour chez nous. Le trajet entre la case de nos hôtes et la nôtre se comptait en pas! Nous sommes arrivés dans la cuisine, très vite et très intrigués! La porte ouverte, il n'a fallu qu'une seconde pour découvrir la surprise: elle était sur la paillasse de l'évier. Imaginez un grand "haricot" en acier inoxydable, ces récipients d'hôpital qui recueillent souvent les instruments médicaux. Eh bien! Qu'y avait-il dedans? Une sorte de petit bébé, entièrement écorché au sens propre, c'est à dire sans peau. Donc sanguinolent... L'aspect était déjà  impressionnant. Mais la mise en scène, encore plus! Le "bébé" donc, était dans la position du fœtus, des petites mains comme celles d'un nouveau-né un peu crispées, un petit peu pressées contre son visage, les petits pieds...ressemblant trop à ceux des bébés. Le spectacle nous a semblé tout à fait insoutenable car trop... réaliste.

Bien sûr que nous sommes retournés à la soirée: politesse oblige! Bien sûr que nous n'avons fait aucun commentaire: bizutage (peut-être, sûrement) oblige.

Que croyez-vous que nous avons fait de ce pauvre petit singe? L'horreur! Pour un néophyte. Nous l'avons mangé...

Voici quelques petits détails. J'ai demandé à Diara, notre boy (je déteste ce mot, mais là-bas, c'est un terme normal car local et pas du tout péjoratif) comment cuisiner ce "plat". Avec ses indications, j'ai concocté notre repas. Mais j'y ai mis le temps: en effet, même à la cocotte-minute, après une heure, il n'était toujours pas cuit. Toutes les trente minutes, je piquais la chair, pour tester. Je serais incapable de dire combien de temps j'ai mis pour amener cette viande à point: mangeable seulement. Ce singe devait être très vieux.

Parlons du goût. De singe, forcément et pas du tout comparable à une autre viande. Mais celle-ci avait le goût de fumée. Nous n'avons jamais su pourquoi.

Après cette expérience, nous ne nous sommes nourris pratiquement que de singes et de biches. Les collaborateurs ivoiriens de Loulou l'appelaient " patron qui bouffe tout" et venaient à la maison nous vendre biche ou singe...ou nous proposaient ailleurs serpents ou autres "horreurs" (épisode suivant).

Mais aucun autre singe ne nous aura autant impressionnés que le premier!

 

Fabienne

 

Arachis hypogaea - Köhler–s Medizinal-Pflanzen-163

wikimédia

 

 

 

Singes, serpents... et autres nourritures  (suite)

 

Nous sommes maintenant au Congo et les expériences gustatives vont se suivre mais ne se ressembleront pas. Le singe aura été la première et ne sera pas forcément la plus étonnante...

Après celle-là, les Congolais nous ont proposé plusieurs autres spécimens, toujours acceptés et...mangés. Puis, un jour, Loulou est revenu à la case avec une biche; toute petite, la pauvre, ai-je pensé. Pas du tout "la pauvre" car les autres seront de la même taille. C'était la particularité de leur race: des biches naines! Manger de cet animal n'est pas original, me direz-vous. Vous auriez raison: en période de chasse, en France, c'est plutôt courant. Mais pendant notre séjour, cette viande a été en permanence, avec celle de singe, notre met le plus fréquent...Ce qui est déjà plus rare.

Variées, cependant ces viandes: les singes et les biches, celles-ci, noires ou beiges, avaient des goûts bien  différents suivant leur race. Mais, si ces animaux constituaient notre ordinaire, ils ne seront pas les seuls.

Un jour, je revenais de l'école et j'allais chercher Loulou à son bureau, lorsque je l'ai retrouvé planté à côté d'un camion et discutant avec un Congolais. Lorsqu'il m'a vue, il m'a aussitôt crié: "Combien de mètres en veux-tu?" Moi, plutôt interloquée de lui répondre: " Des mètres de quoi?"  Lorsque j'ai vu, dans le camion, un Congolais brandir littéralement un énorme et immense serpent, j'ai compris! D'un commun accord, nous nous en sommes remis au spécialiste du camion pour acheter... un ou deux mètre de la bestiole.

Mais il fallait bien le cuisiner et je n'avais aucune idée de la façon de le faire, évidemment: le singe, oui, le python, non. Quel intérêt d'utiliser une recette française pour un animal aussi étonnant quand il passe à l'état de nourriture pour un Français? Aucun, avons- nous pensé, Loulou et moi. Dans ce cas- là, c'est bien pratique d'habiter dans un camp, en brousse: il y a forcément un cuisinier "local" qui peut vous aider.

Je suis donc allé trouver  Jean  pour lui demander de nous préparer notre ou nos mètres de serpent.

Que vous dire du goût? Comme pour le singe, il n'a rien de comparable à ce dont nous avons l'habitude: il a celui... de serpent tout simplement. Mais ce qui est remarquable, c'est la répartition de la viande: elle couvre en épaisseurs bien minces les "côtes" qui forment le squelette du python. En exagérant un peu, la déguster donne l'impression de grignoter de très grandes arêtes en forme de demi-cercle constitué par la vertèbre et les deux côtes qui l'entourent de chaque côté. C'était très exotique.

Pour faire plaisir à Loulou, je dois clore ce paragraphe-python en disant qu'il trouve que son goût ressemble à celui ... des cuisses de grenouilles, même si je ne suis pas d'accord! Il ajoute que Jean a agrémenté le python d'une sauce aux arachides... comme toute la cuisine congolaise. Pour mémoire, je rappelle que les arachides deviennent des cacahuètes lorsqu'elles sont grillées et que les deux graines n'ont aucun rapport, question goût.

Peut-être à l'époque du python ou peut-être avant, nous sommes allés au marché à viande de Brazzaville, pour faire le ravitaillement du camp de M'Po. Au hasard de nos achats, nous nous sommes retrouvés devant un étal... je vais le qualifier de bizarre: nous ne voyions que des morceaux calcinés. Comment expliquer ces petits blocs noirs? Sur l'étal, je voyais comme des "choses" noires, d'aspect rugueux, même pleines d'aspérités grossières, de tailles diverses: de celle d'un petit rôti à celle d'un beau lapin. Que pouvaient être ces "choses"? J'ai évidemment demandé à la dame qui était derrière l'étal. Sa réponse a été   " à la mitraillette" : "Ici, Madame, tu as du rat, là, de l'agouti, du singe, du porc-épic..." et j'en passe. Ce jour-là, je dirais que nous avons sans doute choisi de la biche, peut-être pour nous habituer.

Comme toujours, ne sachant pas comment accommoder ce morceau de "charbon", je suis allé trouver Jean pour qu'il me conseille. "Laisse, Madame, m'a-t-il dit. Je vais te le préparer." J'ai assisté à l'opération, par curiosité. Il a mis le morceau de "charbon" dans une grande casserole pleine d'eau et il a posé le tout sur la cuisinière. Au bout d'un certain temps, au fur et à mesure que le contenu chauffait, j'ai vu des petites choses blanchâtres remonter à la surface en même temps que des bulles. M'approchant, je me suis aperçue que ces choses étaient... des asticots. Quelle horreur! Il y en avait vraiment beaucoup. J'ai aussitôt dit à Jean que c'était inutile de continuer à cuire cette viande, car, comme elle était gâtée, elle serait immangeable. Il m'a regardée l'air très étonné, puis il s'est écroulé de rire: quand un Africain suffoque de joie, c'est un spectacle rare! Tellement drôle qu'il est contagieux...Moi aussi, à mon tour, je me suis mise à rire, sans savoir pourquoi. J'ai fini par comprendre, la raison était-elle si comique?, que TOUTES les viandes conservées par le feu et sa fumée contiennent des asticots. C'est sans doute mon ignorance qui a déclenché le fou-rire de Jean. Jeter de la si bonne viande pour si peu, c'était impensable. D'ailleurs, "Madame, tu vois bien que l'eau bouillante la débarrasse bien et après, tu peux la manger!" C'était tellement évident pour lui: il avait l'habitude. Moi, plutôt moins: il me trottait dans la tête qu'il pouvait rester un ou deux asticots bien accrochés dans le morceau...

Quoiqu'il en soit, Jean, imperturbable, a continué à préparer notre repas. Le reste n'a pas été très intéressant sauf lorsqu'il a extrait la viande de la casserole: il a tout de même écarté soigneusement les asticots puis il a très très bien rincé le morceau sous l'eau du robinet... Le minimum, non? Le plat terminé baignait dans une bonne sauce...aux arachides; comme le python précédemment, comme toutes les viandes que nous avons goûtées, chaque mercredi une nouvelle: je rappelle donc singe, agouti, rat, hérisson, porc-épic, antilope, ce qui est déjà moins original, bubale, poissons d'eau douce, pangolin et j'en oublie forcément.

Quel goût avait le rat, et le hérisson, et le bubale, me direz-vous? Eh bien, je ne répondrai pas comme d'habitude: le goût...de rat...Non! Toutes, strictement toutes les viandes séchées conservées par le boucanage ont le goût de fumée, presque de brûlé, mais tout en gardant chacune une saveur bien personnelle. Elles sont toutes très savoureuses et très exotiques car elles ne ressemblent à rien de ce que nous connaissons, nous, Français. Je n'oublierai pas la sauce aux arachides qui ajoute son pesant d’exotisme.

Le pire est toujours à venir, dans la prochaine anecdote. 

 

Fabienne

 

 

 

 

Singes, serpents...et autres nourritures (fin) 

 

La dernière fois, nous étions donc au Congo. Nous n'allons pas tarder à y retourner...

Avant, je vais évoquer le marché de Buyo-ville, village ivoirien qui a donné son nom à notre camp. Pourquoi, à propos de nourriture? Tout simplement parce qu'il abritait des denrées pratiquement inconnues parce qu'invisibles, au moins les toutes premières fois que nous y allions. Je ne parle bien sûr ni des fruits, ni des légumes, mais de la viande et du poisson. Avec l'habitude, nous avons su où se situait quoi...Sur les étals se trouvaient des amas...de mouches. Bien malin celui qui aurait su ce qui se cachait dessous.

Parlons de ce qui se trouvait dessous. Non: de la façon de le découvrir. Lorsque j'arrivais devant l'étal du boucher ou du poissonnier, ce dernier, d'un geste ample du bras, "balayait" au-dessus de ses denrées pour chasser les mouches. Vite, vite, il fallait regarder à travers le nuage dense des insectes, pour choisir le morceau à acheter. Pour la viande, ce n'était pas vraiment important, car, comme elle était vraiment taillée à la hache, tous les morceaux se valaient. Mais par contre, pour le poisson, le choix était plus délicat, car toutes les sortes ne se valent pas. Le marchand, bon commerçant, renouvelait ses moulinets autant de fois que je le désirais. Cette "viande à mouches", comme nous disions, ne vous rappelle-t-elle pas les bestioles boucanées pleines de vers? Bien nettoyées, elles étaient très comestibles, aurait dit notre boy Jean!

Autre pays, autre spécialité: en Algérie, à Annaba (ex-Bône), nous avons eu l'occasion de manger de la tortue de mer. Un peu étonnant peut-être, mais si peu à côté du reste...Ce plat était très bon. Quel goût avait-il me demandera-t-on peut-être? Vous devez avoir maintenant l'habitude..et la réponse. Celui de ...tortue, évidemment, ne se rapprochant d'aucun autre.

Et les huîtres de Diego-Suarez, me direz-vous? Elles étaient un peu comparables, dans la façon de les acquérir, à "la viande à mouches" des marchés de brousse. Le marchand arrivait devant notre porte et frappait. Lorsque vous ouvriez, il vous présentait ce qui ressemblait à un petit rocher plein de boue. La première fois, c'était surprenant! Le fait de dire oui impliquait, Dieu merci, qu'il vous les ouvre, car je n'aurais pas su par où les prendre. Mais lorsque j'en ai parlé la première fois autour de moi, les "vazahas" (blancs en malgache), unanimement, m'ont affirmé que le vendeur, pour les ouvrir... faisait pipi dessus!!! Quelle horreur!

Puis-je évoquer les brochettes de Tananbo 2? C'est une des spécialités de Diego-Suarez que je n'ai jamais pu manger par dégoût. Nous habitions Tananbo1, quartier périphérique de Diego, à la limite de la ville, intermédiaire entre les quartiers "en dur" et ce que nous appelons les bidonvilles. Parlons de bidons: les brochettes attendaient bien alignées...recouvertes de mouches, dans des grands bacs de fer plutôt rouillés. Idem pour la sauce dans laquelle on les trempait, après qu'elles aient été grillées...Pouah! Je n'ai jamais eu le courage d'y goûter. Maintenant, je le regrette. Loulou, non, car il en a mangées souvent, lui.

Deuxième expérience, que je n'ai jamais pu faire: les chenilles du Congo; Loulou non plus d'ailleurs. Peut-être parce que nous n'avons pas eu l'occasion, car elles  se vendaient vivantes. Mais je crois sincèrement que moi, je n'aurais pas pu en avaler! Lorsque nous suivions la piste de N'Go, pour rejoindre le camp, je revois encore les marchandes de chenilles: elles attendaient sur le bord de la piste, à côté de leur bassine d'émail, grouillante de ces bestioles, très grandes, environ dix centimètres de long, bien dodues, un bon centimètre de diamètre, rayées de noir et pleines de longs poils. Lorsqu'elles avaient des velléités d'indépendance, la marchande les remettait prestement parmi leurs congénères. Je ne peux pas dire que je regrette de ne pas en avoir mangées: je pense que je n'en aurais jamais eu le courage.

Je vais enfin arriver à la fin de ces expériences culinaires: après ce que j'ai mangé en toute connaissance de cause, après ce que je n'ai pas voulu ou pas pu goûter, ce que j'ai absorbé en toute ignorance.

Je reviens au Congo. Un jour, un employé indigène a invité trois ou quatre Blancs de la société R…. où ils travaillaient tous, ainsi que leur femme. Loulou et moi étions parmi cette "élite". La raison de l'invitation était extraordinaire: la deuxième femme de notre hôte était sortie VIVANTE d'un DEUXIEME séjour à l'hôpital, ce qui était pratiquement impensable! Il avait prévu une fête extraordinaire à cette occasion, en plein air, avec une multitude de convives congolais. Nous, les Blancs, étions à une table spéciale, tout au bout de la cour, bien en vue: place d'honneur, je pense. Et le banquet a été somptueux, avec une multitude de plats, tous plus bizarres les uns que les autres, accompagnés de vin de palme. Le seul met que nous avons reconnu était du poulet. Le reste était coupé en tout petits morceaux, de goût vraiment inconnu, dans des sauces variées. J'étais très contente de faire cette expérience: goûter un repas congolais était exceptionnel. 

Le lendemain, tous les convives blancs étaient cloués au lit, malades comme des bêtes! Sauf Loulou. Nous avons pensé que la conservation de la viande y était pour quelque chose.

Voici le pire: peu de temps après, nous avons appris par des expatriés chevronnés que les Congolais pouvaient être anthropophages, plutôt nécrophages, mangeant leurs morts. La preuve, au Congo, il n'y avait aucun  cimetière en brousse, ni même de tombe...Ou du moins, il n'y en avait pas à cette époque. Vous pouvez mesurer l'effet que cette révélation a eu sur nous...Mais le doute subsiste. Quoique! Quoique je pense que nous avons sans doute fait cette expérience car nous n'avons pas su ce que nous mangions: nous n'avons  reconnu aucun goût et notre hôte ne nous a rien dévoilé.
C'était donc le pire.

 

Fabienne