Derrière la porte

 

consigne:

Vous êtes chez vous, « soudain, quelqu’un  frappe à la porte » : écrivez la suite (20-25mn).

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L’inconnu

La nuit est tombée rapidement, plombant d’un coup la vue, l’ouïe, et l’envie de travailler. Le balancier lancinant de la comtoise qui affiche dix heures tient une compagnie monotone. Pelotonnée dans un plaid, au fond de mon fauteuil, je feuillète un ouvrage sur les impressionnistes, m’attardant sur des tableaux maintes fois admirés. Mon chien s’est endormi sur son coussin, tandis que mon chat somnole à demi, clignant des yeux, sur la chaise basse devant la cheminée.
Soudain, quelqu’un frappe à la porte. Comme un coup de semonce dans ma quiétude. Chat hérissé. Aboiements du chien inextinguibles. Je ne bouge pas. Je suis paralysée.

On refrappe. Je ne bouge toujours pas, terrorisée. 
On refrappe encore. Je me hasarde à demander : « qui est là ? ». Pas de réponse.
Je répète d’une voix affirmée : « qui est là ? ». Toujours pas de réponse.
Je me tire avec peine de mon confort et avance vers l’entrée. Mais je n’ouvre pas. Je suis seule, et mon sang est glacé. Je ne me hasarde pas à ouvrir une fenêtre ni les volets du rez-de-chaussée trop facilement accessible.
Les coups redoublent, marquant l’impatience. Je grimpe péniblement au grenier par l’échelle de meunier et passe ma tête par le fenestrou. Je ne vois rien. La lampe extérieure ne fonctionne pas. Je clame : « QUI EST LA ? » pendant que mon chien se déferre derrière la porte chargée de mystère ou peut-être de danger. Rien. Le silence. Une voiture démarre dans la rue.


La lourdeur du silence accompagnera ma nuit. Je n’entendrai même plus le rythme de la comtoise. Après avoir virevolté bruyamment dans la pièce, mon chien finira par se calmer, tandis que mon chat retrouvera son état de veille prêt de l’âtre.
Cet incident me rendra insomniaque pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sans pourtant avoir eu d’issue heureuse ou malheureuse.

Mouty

 

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Je vis dans une très ancienne maison en pierre, dans une cité médiévale bien conservée et restaurée, dans le sud de la France, en pays cathare. Ma maison est adossée aux remparts et parfois j’imagine tous les êtres qui ont vécu là au fil du temps : au Moyen-âge  puis à la Renaissance, sous les rois wisigoths d’abord puis sous les rois de France après la défaite et la perte de l’âge d’or occitan.
Tant de vies éteintes aujourd’hui qui ont bâti ces villages, ces forteresses ; qui ont aimé, souffert….


Or, un soir, alors que je songe à mes prédécesseurs, on frappe à ma porte. Je vais ouvrir et je reçois le passé en pleine figure. J’ai devant moi un couple et une enfant tels qu’on les voit sur les enluminures médiévales ou sur le plafond peint du château de Capestang. Ils me demandent asile en occitan et heureusement que c’est ma langue maternelle. Je les fais entrer car ils ne semblent pas très dangereux mais plutôt en péril eux-mêmes. Ile regardent autour d’eux et sont très étonnés de ce qu’ils voient et surtout de la lumière si vive qu’elle les éblouit d’abord .Ils sont très gênés et apeurés par tout cet inconnu, si extravagant pour eux. La fillette se blottit dans les jupes de sa mère sans lâcher la main de son père, cherchant la sécurité. Et ils se mettent à me raconter dans un patois que j’ai du mal à comprendre à cause de l’accent ancien, qu’ils fuient les hordes de Simon de Montfort car ils sont cathares, bonshommes et doivent assurer la pérennité de leur foi en survivant à l’hécatombe.
Je leur propose de se restaurer et de coucher l’enfant et ils me raconteront leur histoire.


Mais ce n’est pas possible ! Que font ces ancêtres chez moi, en plein XXI° siècle ? Que vais-je faire d’eux ? Comment faire coïncider ces deux mondes si différents ? Il va falloir que je regarde le film « Les visiteurs » ! Mais je vais enfin résoudre plusieurs énigmes en les questionnant. Est-ce bien Simon de Montfort qui a brûlé le château de Puisserguier, qui a traversé notre Biterrois en semant la désolation sur son passage ? A-t-il dit « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ?» Je tiens à portée de voix la vérité historique ! Soudain, mon chat saute sur mes genoux, je me réveille, je suis seule dans mon fauteuil.

Mimi

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« Soudain, quelqu’un frappe à la porte ». C’est par ces mots que commence le cahier que nous avons trouvé, ma sœur et moi, dans une malle inexplorée jusqu’ici, du grenier de bonne maman. Reconnaissant sur la couverture le nom de notre arrière grand-père, Jean-Marie L’……, nous continuons fébrilement notre lecture, impatients de connaître une nouvelle histoire sur nos ancêtres.


Ainsi se poursuit le récit : « Je me demande qui est ce visiteur si matinal alors que le soleil se lève à peine, et en maugréant, fatigué de mes frasques de la veille, je me lève en traînant les pieds et ouvre la porte. Surprise ! Ce n’est pas un mais deux visiteurs qui se tiennent dans l’embrasure. Tous deux sont jeunes et d’une éclatante beauté. L’un, habillé de blanc, les yeux clairs, les cheveux blonds et la barbe soyeuse a, tout autour de lui,  une sorte d’ auréole brillante et argentée. L’autre, à la beauté plus insolente,  tout de rouge vêtu, a un regard perçant, des cheveux de jais et de petites flammèches rougeoyantes sautillent autour de lui. Je me frotte les yeux, ne comprenant rien à ce que je vois, et tandis que je me souviens vaguement d’images de ciel et d’enfer datant du temps où je fréquentais le catéchisme, l’apparition immaculée me dit : « Comptes-tu continuer à mener cette vie de débauché, ne pas travailler et voler pour te nourrir ? Ou as-tu l’intention de t’assagir et de mener une vie d’honnête homme ? Car un jour, je te le dis, tu seras jugé par le seigneur. Si tu veux gagner le Paradis, je t’engage à changer de voie » Avant même que je ne puisse répondre, l’apparition flamboyante, sourire aux lèvres, prend la parole : « n’écoute donc pas cette voix trompeuse, continue ta vie de loisirs, vautre-toi dans la facilité et je te promets pour l’avenir une chaleur dont tu seras entouré pour l’éternité. » Joignant le geste  à la parole, levant le bras tendu,  il s’avance vers moi, précédé de flammèches agressives ; me poussant vers l’arrière, il me force à reculer jusqu’à mon lit, à m’allonger, pointe un doigt écarlate vers ma joue, me touche, et Aïe !, me brûle.  Une lumière vive m’éblouit et stoppe le cri que j’allais pousser. Ouvrant un œil, je m’aperçois que le soleil levant chauffe ma joue et éclaire mon visage à travers la petite fenêtre ; terrorisé par ma vision, en sueur, je promène mon regard autour de la pièce ; point de visiteurs, tout est calme et paisible. J’ai rêvé, oui, j’ai rêvé mais ce rêve ne va plus me quitter. Il me faut prendre conscience de la mauvaise pente sur laquelle je glisse et m’entraîner à abandonner mes mauvais penchants. Je vais devenir honnête pour que mes descendants soient fiers de moi. »


Sabrina et moi n’en revenons pas. Ainsi, ce riche marchand de tissus que nous avons pour ancêtre est un voleur repenti ! Quelle aventure excitante ! Et bien, il sera encore plus cher à notre cœur………………….A moins que ce lointain grand-père de notre mère soit tout simplement un bon conteur désirant laisser à la postérité quelques histoires à faire courir l’imagination de ses petits, petits, petits enfants! 


Gill    

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C’était la veille du Jour de l’An, vous pensez si je m’en souviens ! Mais commençons par le commencement.


       Yves Le Guerrec, tel est mon nom, quarante-trois ans et gardien de phare depuis toujours. Sur une petite île située à deux encablures d’Ouessant. Ne cherchez pas sur une carte, vous ne la trouverez pas ; c’est juste un gros, très gros rocher que les grandes marées recouvrent deux fois l’an. Ce qui était le cas ce soir-là, bien qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une grande marée mais d’une tempête carabinée comme on en voit peu dans une vie de marin. Bref, bien à l’abri et au chaud dans la pièce occupant l’avant dernier étage du phare, une bonne bouteille de rhum près de moi, j’attendais la nouvelle année en même temps que la relève qui arriverait dans la matinée…avec un peu de chance.


  Je méditais,  tout en écoutant la radio afin de me présenter mes meilleurs vœux à minuit pile quand soudain…
    J’entendis frapper à la porte du phare, tout en bas. Cinq coups, comme ceux du destin du cher Ludwig Van. Stupéfait, mon premier mouvement, au bout de quelques longues secondes fut d’éteindre la radio, et le deuxième de me vriller l’index gauche sur la tempe (gauche) en m’écriant : « Mon pauv’ gars, tu d’viens marteau !! Si tu supportes plus la solitude, va falloir songer à te recycler, mec ! » Je me mettais à rigoler lorsque les quatre coups ont retenti à nouveau : « Pom PomPomPom ». Pas de doute cette fois, on frappait bel et bien à la porte. Qui ? Un naufragé certainement ! What else ? Je dévalai quatre à quatre les escaliers en colimaçon, et parvenu en bas, j’ouvris grand la porte du phare. A part une énorme vague qui me transforma illico en éponge, je ne vis rien. Tout d’abord. Parce qu’ensuite, en baissant les yeux…
     La belle était nue et se tenait là, flottant gracieusement sur le seuil. Sa peau d’une blancheur de porcelaine, ses longs cheveux blond très pâle illuminaient la nuit. Un visage, un corps de rêve, de la tête à la queue ! Dieu qu’elle était belle, ma sirène ! Qui me souriait, malicieusement et tendrement à la fois. Je ne cherchai pas à comprendre et tombai sur le champ éperdument amoureux.
La saisissant dans mes bras, je grimpai les escaliers plus vite encore que je ne les avais descendus jusqu’à la pièce à vivre, au sommet (heureusement que j’avais fait le ménage le matin en prévision de la relève !), déposai délicatement mon trésor sur le lit et embrassai doucement ses lèvres d’un rose affolant.
    Il y eut alors comme une sorte de sifflement accompagné d’une étrange fumée verte…et je pus aussitôt constater que ma sirène venait de troquer sa queue contre la plus ravissante paire de gambettes qu’on puisse imaginer. Devant mon air ahuri, elle éclata de rire et j’entendis pour la toute première fois le son de sa voix : « Hé oui tu vois mon chéri, l’histoire de le Petite Sirène est basée sur un fait bien réel ! Nous pouvons  nous métamorphoser en femmes grâce à l’amour d’un homme (elle eut alors un sourire appuyé) en vraies femmes, tu sais… Mais le soleil ne doit jamais au grand jamais nous surprendre sous cette forme, sinon !!! Qu’importe, nous avons le temps, n’est-ce-pas mon amour ? »
     Nous nous sommes aimés, passionnément, à la folie, des heures durant. Confiants en la durée des nuits d’hiver nous avons ensuite décidé, d’un commun accord, de nous octroyer un peu de repos dans les bras l’un de l’autre, afin de prolonger ces merveilleux instants…


     C’est un rayon de soleil traversant la lucarne qui m’a réveillé. La tempête avait cessé, laissant les vagues à leur musique habituelle. Un temps radieux et près de moi, sur l’oreiller, une tache d’écume grisâtre, parfumée au varech. Je n’osais  comprendre mais sanglotais déjà. Cherchant désespérément mon aimée dans la pièce, mes yeux se posèrent par hasard sur la bouteille de rhum. Vide. Aucun rapport bien sûr.
         Et l’on frappait à la porte, en bas. La relève venait d’arriver.

 


       El Pé