Trois options

 

Vous êtes journaliste reporter d’images. Vous pensez tenir le scoop du siècle mais vous avez affaire à un nouveau chef qui n’a jamais mis les pieds sur le terrain et va vous imposer l’uniformisation de votre article et le choix de vos photos qui ne vous semblent aucunement les meilleures.

Comment réagissez-vous ?

1 - Vous vous taisez et le laissez décider.

2 - Vous poussez une « gueulante » en le coinçant alors qu’il est seul et lui dîtes que c’est vous qui rédigez l’article et choisissez les photos.

3 - Vous reprenez article et photos et allez les présenter à un autre journal, concurrent de préférence.

 

En 30 minutes dîtes quelle est votre option

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Déconvenue de journaliste

 

Comme d’hab., je trouvai mon chef auprès de la machine à café, la clope au coin des lèvres, l’air revenu de tout, un brin goguenard. Depuis son arrivée dans le service - en promotion parait-il - il toisait ses subalternes de façon désagréable, voire provocante. Ce qui lui permettait de se sentir à sa place de chef.

 

Je lui présentai mon reportage sur le concours régional de Tir à l’arc, accompagné de photos de gamins concentrés sur la visée des cibles placées au fond du terrain, ou gravissant fièrement les marches du podium.

 

Il ignorait totalement cette discipline sportive où il n’avait jamais mis les pieds.

 

Et pourtant, fidèle à ses attitudes de Monsieur Je-sais-tout tout en ne sachant rien, il balaya d’un geste mes photos et mon papier en déclarant que ce sport n’intéressait personne.

 

Je ramassai l’ensemble des documents, balayai à mon tour sa tasse fumante et son cendrier, et lui lâchai qu’il avait de la veine d’être pistonné pour occuper un poste qu’il ne méritait pas. A bon entendeur, salut !

 

Je tournai les talons et me dirigeai d’un pas décidé vers le « Canard déchaîné » qui publiait volontiers les articles bien tournés et documentés, en insérant au passage quelques piques à l’encontre du journal qui avait refusé mon travail, histoire de pointer son manque de culture.

Je remerciai le rédacteur en chef qui me reçut, réjoui de l’accueil qui me fut réservé, en savourant avec délice ma petite vengeance.

 

Mouty

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Vingt ans en arrière

Assis derrière mon bureau du journal « la Liberté des mots », j’étudie un papier et des photos qu’un jeune pigiste m’a proposés. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne l’aurais pas écrit comme cela et surtout pas illustré de ces photos parfaitement choquantes. Nos lecteurs ne vont pas apprécier, c’est sûr. Je crois que je vais être obligé de le lui dire et de remanier complètement son article.

Prêt à noter les modifications à effectuer, je reste le stylo en l’air et me remémore ce qui m’a conduit derrière ce bureau, il y a une vingtaine d’années. J’étais alors moi-même un jeune journaliste et j’avais couvert en Afrique un conflit sanglant qui m’avait laissé des traces tant j’y avais vu des horreurs. Je revenais avec des images dures mais j’étais persuadé qu’elles devaient être étalées sur du papier et que le monde devait les voir. C’est pourquoi mon article ne faisait pas dans la dentelle. Malheureusement, le rédacteur en chef du journal où je devais le faire paraître était très timoré et avait voulu modifier totalement ce que j’avais rédigé et illustré, ce qui donnait un article plat qui n’aurait aucun impact sur les lecteurs et serait oublié aussi vite qu’il avait été lu. Trois options s’offraient à moi : 1/ je ne dis rien et le laisse décider ; ainsi j’abandonne toutes mes convictions, mon indépendance mais je suis tranquille. 2/ Je me rebiffe, je crie, je dis que c’est moi qui décide; Alors connaissant l’homme, je sais que je perds mon énergie et mon temps. Et enfin 3ème option, je prends mon article et je le propose à un concurrent et là je remets ma tranquillité et la stabilité de ma vie en question. Et bien, devinez ce que j’ai fait. Vous vous en doutez, n’est-ce-pas ? J’ai claqué la porte et j’ai tapé à d’autres dont une s’est ouverte toute grande, celle que je franchis tous les matins depuis ce jour. J’ai gravi tous les échelons avant de m’asseoir ici. C’est vrai, il y a longtemps que je ne vais plus sur le terrain et j’ai un peu oublié tout ce que cela implique. Mais voir son travail reconnu, c’est le voir publié en totalité, sans coupe ni changement.

Alors, c’est parce que je repense à ce jeune homme plein de fougue que j’étais que je repose mon stylo et que je décide de ne pas toucher à un seul mot et à une seule photo de l’article que j’ai devant moi.

Gill

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