Un moment du quotidien

 

Ma madeleine (25 mn)

A travers une spécialité culinaire décrire avec minutie le décor, l’ambiance, l’entourage, les opérations d’un moment que vous appréciez ou avez apprécié particulièrement.

Employez dans le texte les dix mots suivants :

arguments, binocles, carottes, direction, énormément, farce, girouette, honneur, ironie, jamais. 

Terminer par « Et je pèse des mots dans la balance de cet instant ». Extrait d’un poème d’Octavio Paz : Issue (Liberté sur parole)

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Mon chocolat au lait

 

Le chocolat au lait du matin, préparé par ma grand-mère, était « mon chocolat », et celui de ma grand-mère bien sûr, qui n’avait pas son égale pour le préparer.

 

Les matins d’hiver où le givre égayait les vitres de ma chambre - il n’y avait pas d’autre chauffage que celui de la cuisinière émaillée qui ronflait déjà au moment où j’entrais dans la cuisine. Là, c’était le paradis : chaleur enveloppante, odeur de chocolat, bref, le pied.

 

C’était une pièce plutôt sombre, éclairée seulement en son centre par une ampoule faiblarde couverte de chiures de mouches et pendant tristement au bout d’un fil torsadé.

 

Sur le bord de l’évier en pierre, des carottes rutilantes après un bain sous la pompe attendaient patiemment la suite. Sur le bout de la table, la farce de chair à saucisse serait bientôt tassée dans les pommes de terre creusées en leur centre par un petit outil magique qui fabriquait des tire-bouchons. Le chat ronronnait à mes côtés en entrouvrant ses yeux de biche.

 

Ma grand-mère ajustait ses binocles avant de prendre la direction du fourneau où patientait une petite casserole de lait chaud. Elle y râpait alors une demi-barre de chocolat noir avant de remuer en donnant deux ou trois tours de bouillon. « Grand-mère, un peu plus » lui disais-je. « Il ne faut pas en mettre énormément me rétorquait-elle, ça te ferait mal au foie ! ». Je lui parlais alors des forces dont j’avais besoin pour accomplir le chemin de l’école, de la nécessité de ne pas faiblir pendant les cours jusqu’à midi. Elle restait imperturbable. A bout d’arguments, je laissais tomber ma plaidoirie, je savais qu’elle était inutile. Je sentais tout de suite après envahir mes narines par les effluves divines du liquide chaud coulant dans mon bol. « Arrête de faire la girouette, tu vas te brûler » me lançait ma grand-mère alors que je fondais de bonheur. Je crois qu’elle mettait son pointd’honneur à me faire le meilleur chocolat du monde. Je ne l’oublierai jamais.

 

Ironie de la transmission culinaire, je ne parviens pas aujourd’hui à réaliser un aussi bon chocolat. Et je pèse mes mots dans la balance de cet instant.

 

Mouty

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Art culinaire

 

Quelle farce ! Quelle ironie ! Une consigne sur l’art culinaire ! Le mot, déjà, me donne envie de prendre la direction opposée à ma feuille. Parole d’honneur, je n’apprécie jamais de me trouver dans une cuisine, et comme je ne suis pas une girouette, aucun argument ne peut me faire changer d’avis. Ne me parlez pas de carottes, navets, bœuf ficelle ou veau marengo.

J’insiste. RIEN ne peut me faire changer d’avis…… Quoi que ! Un mot, un seul, le mot « chocolat » peut me faire prendre le chemin des fourneaux. Oui, la bouillie au chocolat de mon enfance. Je revois nos trois têtes brunes penchées sur la casserole où lait, maïzena et cacao se mélangeaient doucement pour former un liquide onctueux et chaud, à l’arôme puissant. Je revois ma sœur aînée tournant avec art le breuvage afin qu’il ne soit ni trop liquide, ne trop épais et surtout sans  grumeaux pour être dégusté sans attendre. Je me brulais un peu la langue mais comme j’appréciais énormément, avec outrance même, cette sorte de crème chocolatée réconfortante, je faisais juste une petite grimace, mi-douleur, mi-contentement, avant d’avaler avec délice.

 

Nous n’avions pas besoin de binocles pour lire cette recette, nous la savions par cœur, comme nous saurions la réaliser encore aujourd’hui les yeux fermés. Mais il y manque sanas doute notre jeunesse pour l’apprécier pleinement « et je pèse mes mots dans la balance de cet instant ».

 

Gill

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Angoisse, chagrin, désespoir (25mn) 

Décrire un instant malheureux avec la même minutie, en employant les mêmes mots que la consigne précédente. Le texte se termine par la même phrase

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Départ pour l’inconnu

 

Je débarquai à Metz un 1er Octobre pluvieux et froid après un voyage depuis le sud-ouest de la France assez angoissant et mouvementé pour rejoindre mon premier poste de travail : j’allais vers un Nord inconnu, peut-être inhospitalier. Une journée de train qualifié d’Express mais n’ayant rien d’un TGV. La traversée de la Seine à pied sur le pont balayé par le vent entre les gares d’Austerlitz et de l’Est, en portant péniblement ma lourde valise en bois chargée de bouquins, fut un supplice. Puis, direction Strasbourg en côtoyant des voyageurs parlant allemand ou alsacien, langues totalement étrangères pour moi.

 

Ironie du sort, je n’avais pas prévu un tel changement de température. Je sortis de la gare de Metz complètement frigorifiée. Je longeai un petit marché où les denrées alimentaires voisinaient avec les brocantes et les puces. Binoclescarottesgirouettes, charcuterie… Jamais je n’avais vu des choses aussi hétéroclites sur si peu d’espace. Enormément de bric à brac baigné par les odeurs de légumes ou de viande. Un clown, sous un parapluie troué, racontait des blagues en faisant des farces aux passants.

 

Je pris la direction de l’hôtel en mettant mon point d’honneur à porter ma valise sans défaillir. Jamais je n’avais été aussi harassée, transpercée de froid.

 

Mon train avait pris du retard, et j’arrivai à l’hôtel quinze minutes après l’heure limite imposée. Je fus accueillie assez froidement, à l’image du temps, par un cerbère qui me fit perdre tous mes moyens. Je serais entrée dans un trou de souris. J’en oubliai tous mes arguments préparés à titre d’excuse. Moi, d’habitude si diserte, je restai coincée, muette. Et pourtant je pesais mes mots dans la balance de cet instant.

 

Mouty

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La tache de la honte !

 

Sagement assises derrière leurs pupitres, trente têtes brunes et blondes, penchées sur un cahier de dessin, s’attachent à reproduire avec énormément de soin, un panier de légumes avec carottes, poireaux et navets, ou une église surmontée d’une girouette. J’en suis à la phase délicate du dessin de la flèche indiquant la direction du Nord. Voilà, c’est terminé. Il faut que je fasse honneur à ma mère qui a toujours eu le 1er prix de dessin. Jamais elle ne me pardonnerait si c’était médiocre. Il ne me reste plus qu’à écrire mon nom à l’encre sur la feuille.

 

Malheur, un gros pâté, j’ai pris trop d’encre ! Je vais attendre qu’il sèche puis gommer avec le côté crayon, cela ne devrait pas abîmer le papier. Ah, cela ne gomme rien, il faut essayer le côté plus râpeux. Je frotte je frotte et je finis par percer le papier. Quelle farce, quelle ironie ! Plus de pâté mais un gros trou. Que vais-je faire, moi qui suis si soigneuse d’habitude. Je vais me faire gronder et quand je pense au visage anguleux et aux petits yeux cruels surmontés de binocles de mademoiselle Jorbier, je frémis d’angoisse. Elle ne va voir que ce gros trou bordé de bleu et son regard va me fusiller.

 

« C’est terminé mesdemoiselles », entends-je. Et elle commence à passer dans les rangs. Evidemment, arrivée vers moi, elle s’arrête, j’entends comme un grognement d’indignation, et n’osant la regarder, j’imagine son visage rouge de colère.

 

«  Mademoiselle vous me décevez. Je ne vous imaginais pas reine du gommage. C’est un argument pour vous punir, vous le savez. Vous serez notée zéro en soin. Vous quitterez le premier rang et irez au fond de la classe pour une semaine. Vous n’êtes plus digne d’être devant le tableau, et je pèse mes mots dans la balance de cet instant. »

 

 

Gill

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