Devant ma tombe

 

Imaginez-vous devant votre propre tombe au cimetière. Vous lisez votre épitaphe.

                                 Rédigez-la. Exprimez vos sentiments.

-----------------

 

EPITAPHE

Gloup ! J’en reviens pas ! Après en avoir bavé de cheminer sous une pluie battante - que d’eau ! Que d’eau ! - en faisant crisser les graviers sous mes semelles usées, je tombe en arrêt, c’est le cas de le dire, sur une tombe grise en béton, moussue, discrète, secrète. Une sorte de tombe fantôme : c’est MA tombe ! Les bras m’en tombent ! C’est bien mon nom qui figure sur la plaque rouillée : Arthur BOISSANSOIF - 19 Mars 1972 / 19 Mars 2012. C’est aujourd’hui justement…

Je suis sidéré, démantibulé. Un chagrin incommensurable m’envahit. Il déborde, comme la fontaine désuète plantée au cœur du cimetière. Les larmes de pluie mêlées aux miennes obstruent mon regard. D’un revers de manche j’essuie le trop-plein. J’ai du mal à déchiffrer l’épitaphe écrite d’une main malhabile :

Ci-git le plus heureux des soudards

Celui pour qui la vie oublia la tendresse

Et qui trouva un verre par un heureux hasard,

Le remplit, le vida, recommença jusqu’à l’ivresse.

Souvenez-vous toujours de ce pilier de bar

Qui attendait dimanche pour boire le vin de messe.

Il venait du néant, et allait nulle part,

Ignorant les baisers, ignorant les caresses.

Il voyageait à pied, et quelquefois en car,

Désabusé surtout par des tas de promesses,

Usé et bousillé par de nombreux nectars

Jusqu’à la fin. C’est là que le bât blesse.

Je trouvais dans cette épitaphe ce qui me résumait le mieux. A quoi bon en rajouter ?

Adieu mon pauvre Arthur !

 

                            Mouty

 

                               _____________________________________

 

« Ici gît celui qui a rempli sa vie avec du vide. »

Eh oui ! J’étais funambule et j’ai marché au-dessus des canyons et des avenues de New York d’un gratte-ciel à l’autre. Cela m’a permis de voyager dans le monde entier à la recherche des sites les plus célèbres, les gorges les plus dangereuses, de traverser au-dessus des cascades bouillonnantes, écumantes depuis les chutes du Niagara jusqu’au Zambèze.

En effet j’avais besoin de remplir ma vie avec du vide et plus le vide était vide, profond, plus je me réalisais. La poussée d’adrénaline devenait de plus en plus nécessaire et indispensable à ma vie comme un drogué à besoin d’augmenter sa dose de plus en plus souvent.

Mais qu’ai-je fait d’autre ? Rien ! Je n’ai pas eu d’épouse, de famille car qui aurait voulu d’un fou qui met sa vie en danger chaque jour ? Qui aurait accepté d’avoir des enfants d’un père toujours absent, toujours en quête de plus d’aventures périlleuses et qui risque de ne pas revenir vivant ?

 Je n’ai rien construit. J’ai été d’un égoïsme sans borne et ma vie a été un vide sidéral !

Juste des rencontres occasionnelles avec des admiratrices qui parfois, auraient bien voulu me retenir ; mais même dans leurs bras, je pensais à mon prochain défi et je m’enfuyais en courant, lâchement, sous le prétexte de ce qui m’attendait. En fait, j’ai fait tout ça pour fuir la vraie vie, fuir la réalité du quotidien avant qu’elle ne m’enchaîne. Surtout pas de routine, de soucis ou de plaisirs communs à tous !!

J’étais égoïste et aussi d’un orgueil démesuré : « Moi, je ne suis pas comme les autres, je suis au-dessus du lot, c’est le cas de le dire d’ailleurs ! »

Bon maintenant il est un peu tard pour prendre conscience de tout ça. J’aurais dû faire une psychanalyse mais il était inconcevable que je reste au même endroit, à me regarder le nombril pendant des mois et des années !

Et voilà le résultat : la vie a passé quand même et je suis « celui qui a rempli sa vie de vide. »

                       Mimi

                            ______________________________________

 

Après avoir succombé à un guet-apens tendu par ceux que je gênais, me voilà devant ce qui sera désormais chez moi : une tombe toute simple, avec cette seule inscription

 

                                            Ici est un homme

                                             Epris de justice

                    Qui a pris aux riches pour donner aux pauvres

                             Qui a combattu au côté des opprimés

                         En utilisant toutes les méthodes à sa portée

                                  Peut-être en a-t-il blessé certains

                                     Mais la fin justifie les moyens

 

Oui, c’est bien moi. Je crois que j’étais prédestiné à la vie que j’ai eue. Je suis né en détestant l’injustice et tout petit, je me demandai déjà pourquoi certains avaient faim, tandis que d’autres jetaient les restes, tellement ils étaient repus. Je me demandais pourquoi certains avaient froid alors que d’autres s’emmitouflaient dans de douces et chaudes fourrures. Je me demandais pourquoi certains, se croyant supérieurs, en opprimaient d’autres.

 

Bien sûr, j’ai vécu à une certaine époque mais je crois que  j’aurais  pu vivre avant ou après. Je suis intemporel. Maintenant que je suis mort,  je n’ai nulle honte de ce que j’ai fait. Je n’ai pas toujours bien agi mais j’ai agi pour le bien, pour le bien de ceux qui souffrent. Ceux qui m’aiment m’ont toujours fait confiance et sont fiers de moi. Ceux qui me traquaient, les cupides, les puissants, les tyrans, ont eu raison de moi,  mais j’ai semé des graines d’idées de justice un peu partout ; elles germeront et d’autres, dans les siècles à venir auront certainement la même épitaphe que moi sur leur tombe. Nous aurons tous tenté de faire un monde plus juste.

 

                   Gill

_____________________________________________

 

 

On approche de Novembre. J'aime flâner dans le vieux cimetière si beau avec ses milliers de tombes fleuries ; j'en admire une particulièrement, bien  entretenue, j'imagine que c'est moi qui suis là, vie de travail, de don de soi,  de souffrance, de joie, de quelques moments de bonheur, vie passée à la vitesse de l’éclair, 

 

2O ans, 40 ans,  60 ans et plus, on continue le chemin il faut bien le finir ce chemin, et à présent me voilà sous ces fleurs ; où est passée mon âme ?  Mais c'est le diable que je vois, il tournoie, essaie de me séduire avec des propositions mirobolantes : en enfer tu ne manqueras pas de chaleur viens faire un tour tu retrouveras des amis, vois comme on est gai ici, on chante, on rit, laisse moi te guider. Mais je refuse toute ces offres. Voilà Dieu à présent avec  ses promesses de Paradis, le ciel la paix le jardin d'éden, ses fruits ne sont plus défendus, tu peux en croquer à volonté, l'air léger la sérénité, tu seras gâtée, on saura t'apprécier et t’aimer, suis  moi, tu as fais un bon parcours sur terre, tu mérites le ciel. Ma parole c'est pire que sur terre ici, c'est à celui qui aura le plus de tour dans son sac pour attirer le client, mais j'hésite, je ne suis pas sure d'être prête, je crois que je n'ai pas terminé ma vie sur la planète terre, je veux encore voir le jour se lever le soleil la réchauffer de ses chauds rayons, la pluie faire pousser les plantes et les fleurs, je veux voir mon petit fils grandir. La panique me prends, laissez-moi partir, il me semble que j'ai crié, j’ouvre les yeux, je suis vivante, je vois des gens derrière moi me regarder d'un drôle d'air, ils  doivent penser que je suis un peu dérangée, heureusement ce n'est qu'un rêve imaginaire. Ouf, il y aura bien des levers de jour et des couchers de soleil qui vont se succéder avant que je ne sois sous une tombe, même bien entretenue. 

 

                                   Rina      

______________________________________________________________________________________

 

 

Passants, méditez ceci :

       J’ai été ce que vous êtes

        Vous serez ce que je suis.

 

Quoi !! Qui a osé ? Détourner ainsi Ronsard, lui, l’amoureux de la vie et de la jeunesse ! Graver ses vers –dentelle sur une sinistre plaque de marbre mortuaire ! Quel sacrilège ! Pire, quel mauvais goût ! Je vais agripper l’objet et le jeter dans la première poubelle venue…Hélas, mes mains le traversent, impuissantes…

 

       Parce qu’il faut que je vous dise : je suis morte. Depuis ? Oh, est-ce-que je sais, moi ? On ne mesure pas le temps, dans l’Eternité. Mais ça ne doit pas faire bien longtemps, il reste encore quelques fleurs pas trop fanées sur ma tombe.

 

     Comment ça s’est passé ? Attendez que je me rappelle. C’est fou ce qu’on oublie vite l’Avant lorsqu’on a rejoint l’Après ! Ah oui, ça me revient : Le crépuscule. La pluie. Le passage clouté. La grosse voiture noire qui me fonce dessus. Un bruit infernal de freins et de tôle et puis… plus rien.

 

       Réveil dans un espace éblouissant de clarté qui ressemble à un hall de gare. Des queues interminables devant des guichets tout au fond. Des flics bizarres déguisés en anges et portant des brassards rouges de police…jusqu’à ce que je réalise qu’il ne s’agit pas d’un déguisement. La situation s’éclaire et même pas peur. Je demande doucement au Pakistanais à turban qui me précède : « Vous êtes mort vous aussi ? », il hausse les épaules.

 

 « Evidemment ! ». Il a l’air contrarié. Je parie qu’il imaginait le Passage autrement. Moi aussi. Enfin, j’arrive devant le guichet. Derrière, encore un ange. Il tape mes coordonnées sur son ordi et m’assène : « CP, à droite. »

 

Je me retrouve dans une sorte de grande cour pavée avec une foultitude de gens. Dont certains (et oui) de ma connaissance. Je m’approche de l’un d’eux, disparu depuis au moins cinq ans, temps terrestre. Il n’a pas l’air surpris de me voir. Tant mieux. Je m’exclame alors : « Tiens comme on se retrouve ! Mais dis-donc, ça fait un bail, toi, que t’es m…

 

-Mort ? Allez, n’aie pas peur des mots. D’ailleurs, il vaut mieux t’habituer à celui-ci parce que tu sais, tel que c’est parti, ce n’est pas près de finir.

-Je m’en doute. Mais on est où, là ?

-Au CP. Cour Purgatoire si tu préfères…

-Ah bon ? Et qu’est-ce-qu’on y fait ?

-Rien. Et c’est ça le pire. On s’em…nnuie que c’est rien de le dire. La Punition, tu vois. Jusqu’au test.

-Le test ?

-Ouais. Ils te renvoient un bref instant sur Terre, et là, te font subir l’épreuve.

-Oh Mama mia ! De quoi s’agit-il, tu es au courant ?

-C’est la surprise. Si tu réussis, tu entres au Paradis, sinon, tu retournes au CP. Ah excuse-moi, mais j’entends crier mon nom. Chouette, je vais descendre, souhaite-moi bonne chance ! »

 

        Ce que je fais en tâchant d’éluder la question, fort peu charitable, de savoir si c’était ou non sa première descente Ici-bas, puis me prépare à m’enquiquiner ferme pendant …Un siècle ? Deux ? Mille ? Mais miracle, mon nom retentit soudain. Je m’avance au hasard, sens un souffle chaud passer sur moi…et me retrouve au cimetière de Béziers, devant mon épitaphe, ce qui a le don de me mettre en boule illico presto. Ah les parents et amis, parlons-en !! D’autant que, tel que c’est rédigé, on dirait vraiment que ça vient de moi, une dernière volonté quoi ! Jamais de la vie ! Moi j’aurais dit…j’aurais dit…Et soudain curieusement je me mets à sourire, toute colère, frustration ou vanité évanouie. Allons, tout va bien, si c’est ainsi qu’ils me voyaient, les parents et amis… il faut l’accepter. Finalement,  ils ont cru me faire plaisir, les pauvres !

 

        Aussitôt, portée par une note de musique (un fa dièse en fait) je m’envole et n’en crois pas mes yeux ! Je suis au Paradis ! Si vous saviez comme c’est…Mais désolée, je n’ai pas le droit d’en parler. Vous aurez la surprise. A toute.

 

              El Pé

____________________________________________