Civilisations

 

 

Image par Dean Moriarty de Pixabay


 

 

Civilisations.

Lorsque le mot civilisation est employé, il est souvent sous-entendu civilisation supérieure ou civilisation inférieure. Ici, je veux faire la différence entre celle des Européens et celle des Africains et c'est tout.

J'aidais Loulou au Congo, pour entourer un peu les célibataires géographiques présents au camp (les hommes mariés mais dont la femme était restée en France), car il estimait qu'une présence féminine était bonne pour leur moral.

Très peu de temps après l'ouverture réelle du camp, en pleine forêt équatoriale, des employés africains ont été engagés. Nous les appelions boys, mot pas du tout péjoratif et habituel en Afrique.

J'allais tous les jours à la cuisine pour préparer surtout des desserts et pour parler avec le cuisinier et son aide. Pour l'un des premiers repas, ayant les mains dans une préparation, je demandai à André de me passer une casserole et j'ajoutai: "Vous la prenez dans le placard, là, sous l'évier". André de regarder la porte du placard indiquée par mon index tendu, l'air perplexe, puis de poser ses doigts sur la tranche de la porte à droite, à gauche, en haut, puis des deux mains à droite et à gauche...pour essayer de l'ouvrir. Je le regardais faire, très étonnée. Je n'avais pas pensé qu'André ne savait certainement pas ce qu'était un placard et encore moins comment ouvrir la porte. Mais comme il était intelligent, il a fini par remarquer la petite poignée et il a tiré dessus: la porte s'est ouverte! Tête hilare d'André, quand il s'est retourné vers moi en me regardant d'un air triomphant !!!

Dans un autre domaine, mais où je n'ai jamais réussi ma mission, Loulou m'avait demandé d'apprendre aux boys à faire les lits des cases de passage, réservées comme leur nom l'indique aux personnalités qui ne résidaient pas au camp. Lorsqu'il fallait loger quelqu'un, une case devait être préparée: lit, linge, fleurs, propreté.

La première fois que j'ai entrepris cette tâche avec un boy, je lui ai bien sûr montré tout ce qu'il fallait faire, en expliquant clairement, je le croyais du moins, le pourquoi de chaque geste. Puis je le laissai agir seul, lui demandant de venir me chercher lorsqu'il aurait fini. Quand je suis revenue pour vérifier le lit fait, le boy tout joyeux de son œuvre me regardait en riant. J'ai compris immédiatement que les Congolais de la brousse, embauchés comme boys, n'avaient jamais vu un lit, fait ou pas fait! Donc, de leur demander d'en préparer demanderait un long apprentissage. Je m'attachais courageusement à cette tâche...

Des lits et des lits plus tard pour chaque boy, tous ratés, l'un d'entre eux devant me trouver plutôt exigeante et ne comprenant sans doute pas pourquoi, m'a appelée un jour, l'air vraiment triomphant: "Viens voir, Madame. Cette fois-ci, j'ai compris: j'ai mis le drap du dessus, la couverture et le dessus de lit. Tout y est et rien ne dépasse!" Je le suis, j'entre dans la case, et je vois un lit parfait. Sur le point de le féliciter, je soulève tout de même le dessus de lit, par acquis de conscience. Oh! Surprise! En effet, rien ne dépassait: tout, les deux draps et la couverture, était bordé... sur les quatre côtés...J'avoue que j'ai eu du mal à retenir mon fou-rire.et j'ai tout de suite demandé au boy, un peu penaud, comment le moundélé (blanc en congolais) entrait dans le lit...

Jamais je n'aurais cru qu'une pareille mission était vouée à l'échec. Mais les Congolais ne se servent pas de lit, en brousse.

Même les citadins! En vérifiant les cases utilisées, le matin après le départ de leur locataire, combien de fois n'ai-je pas trouvé les draps et la couverture en désordre par terre, ayant visiblement servi de lit à leur utilisateur.

Comme quoi il n'y a pas de mauvaises ou de bonnes civilisations mais des différences fondamentales dans la façon de vivre, suivant le contexte, non pas à juger mais à observer. 

 

 

Fabienne