Lettre à une gentille curieuse                   de Line

 

 

 

 

Lettre à une gentille curieuse

 

     Chère Eloane,

J’ai lu ton mail : « Tati, j’ai trouvé un mec génial, c’est super, pourquoi t’es restée célibatère ? » Célibataire s’écrit avec « ai » et non « è », qu’est-ce que tu apprends à l’école ?

   Ce n’est pas la première fois que tu me poses la question. J’espère que ce n’est pas une vilaine curiosité qui te pousse, mais le désir de mieux me connaitre.

    Dans ma jeunesse, les filles, étroitement surveillées par les parents, avaient peu de liberté et d’occasions pour rencontrer les garçons. Plus tard, les activités professionnelles, associatives, remplirent largement mon existence. Mes collègues, mes amis étaient de bons copains pas des amoureux potentiels.

    Pourtant, à la retraite…

J’avais gagné un vélo à un jeu. Quand il ne pleuvait ni ne ventait, le dimanche matin, je pédalais sur une piste cyclable. Je portais un survêtement et une casquette fanés, usagés. Donc, suante, rouge, un jour j’allais, quand j’entendis une voix masculine : « Vous avez un sacré coup de pédale, Madame, félicitations ! ». Tournant la tête, je vis un monsieur aux cheveux gris, au visage agréable et viril. Un mec super génial, comme tu aurais dit. Côte à côte, nous continuâmes notre chemin, échangeant d’amicales paroles : « Quel temps agréable ! », « Vous venez souvent ici ? Et patati et patata… ». Il ralentissait, j’accélérais ; il tourna à droite, me laissant sous le charme.

    Toute la semaine, raison et imagination se battirent dans ma tête. J’effeuillais la marguerite : « Je le reverrai, oui, non… »

     Le dimanche suivant, portant mes plus beaux vêtements sportifs, je repartis ; hélas il ne vint pas. Mais je gardais espoir, mon aventure ne pouvait finir ainsi. Un, puis deux dimanches passèrent, toujours rien. Le mauvais temps s’installa, je vendis ma bicyclette.

     Mon roman s’achevait avant d’avoir commencé… « Un amour de rien du tout ». Comme disait Jean de la Fontaine à Perrette qui cassa son pot à lait d’avoir trop rêvé : « Quel esprit ne bat la campagne, qui ne fit châteaux en Espagne ? »

       Je repris mes promenades quotidiennes au bord du canal.

Un jour d’hiver, je cheminais sur le quai presque désert, perdue dans mes pensées, ramenée à la réalité par : « Vous marchez trop vite, Madame, je peine à vous suivre. ». Me retournant,  je toisai un individu essoufflé, légèrement bedonnant. « Je ne vous ai pas demandé de le faire » rétorquai-je froidement. Il resta cloué sur place. Je repartis puis m’arrêtai net. Je comprenais enfin pourquoi mes passions restaient toujours « des amours de peu » éphémères mort-nées sans lendemain.

        Je portais en moi le gène du célibat.

C’était lui le coupable responsable de mes échecs, de ma solitude.

Depuis, je vis en paix avec moi-même, le reste de mes jours. Ce n’est pas grand-chose, juste « des amours de rien », mon passé, mon présent, mon avenir.

    Aucun danger pour toi, belle Eloane, tu possèdes le gène du bonheur. Dis, tu me la racontes ton idylle avec ce mec génial ?

               Je t’embrasse, ta tantine Line.

 

 Line