Le bateau s'éloigne, je reste

 

Vous êtes sur le quai

 

Vous regardez un bateau qui s’éloigne

 

Racontez pourquoi

 

 

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20151030 Syrians and Iraq refugees arrive at Skala Sykamias Lesvos Greece 2

 

 

Je suis là, debout sur le bord du quai. Le vent de terre  s’est levé et souffle maintenant depuis trois jours .La mer était calme, mais depuis ce matin, le temps a changé, les vagues moutonnent et des creux commencent à se former.

«   –  Que dis-tu, Kaled ?

     Mon ami, je dois partir, quitter ce pays ingrat, ses vicissitudes, ses pénuries, ses injustices, ses dangers. Eviter une mort quasi-certaine.  Là-bas, de l’autre côté de la mer, si on ne trouve pas le bonheur, on pourra peut-être gagner un peu de sérénité, poser cette peur de tous les instants qui nous tenaille le ventre.

     Mais  connais-tu les risques que tu prends ? Les passeurs qui vous étranglent vous ont-ils expliqué et détaillé les dangers qui vous guettent ?

     Quand on joue à la roulette russe, on ne perd pas à tous les coups…

     Peut-être, mais quand on perd, c’est irrémédiable et définitif. C’est pour toujours ; on ne revient jamais  de l’au-delà.

     Ici, c’est juste une question de temps .On est certain de perdre la vie trop vite. Rares seront ceux qui se verront vieillir. La mort rôde partout : dans les maisons, dans les rues, sur les places,  elle devient inéluctable. S’il nous reste une chance de courir ailleurs, là-bas, il faut la tenter. De toute façon, il est trop tard pour faire marche arrière. Nous avons choisi le sort des migrants. »

Tout en disant cela, il enjambe le bastingage et s’assoit dans la chaloupe. A force de rames, lentement elle s’éloigne et moi, je reste là, seul, debout, sur le quai.

Peut-être aurai-je le courage de faire comme lui ……plus tard.

 

Jean-Pierre

 

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Vendée Globe 1996-1997

 

 

J’avais rejoint le quai où des centaines de personnes attendaient le départ des catamarans. Moi, je n’étais là que pour un seul, celui de Thibault, mon ami d’enfance, qui avait décidé de se lancer dans l’aventure. Depuis longtemps il rêvait du mythique « Vendée Globe » et à force d’entraînement, il y était parvenu. Il avait rejoint une association, trouvé des sponsors, préparer son voyage avec acharnement. Certes, son bateau n’était ni le plus beau, ni le plus puissant, mais c’était sa plus grande fierté. Il l’avait choyé durant tous ces mois ; avec son équipe, ils avaient paré à toute éventualité, imaginé toutes les situations. Je lui faisais confiance bien sûr mais je ne pouvais m’empêcher de penser aux tempêtes, cyclones en tout genre qui pouvaient avaler en une seconde l’être qui bravait leur colère.

Soudain le micro grésilla et une voix couvrit toutes les autres. Je m’étais approchée du bord pour essayer de croiser le regard de Thibault et insuffler toute la tendresse dont il aurait besoin ces prochains mois.

Le coup partit, et comme une envolée de cormorans, les voiliers déployèrent leurs ailes sous le vent. Tous, ils se mirent à filer dans l’écume des vagues. A cet instant, je compris que quoi qu’il puisse arriver, je garderai toujours le souvenir précieux de cet instant majestueux.

 

Evelyne

 

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J’étais là sur le quai, je les voyais partir, mes petits Nicolas, Bastien, Zara et Elisa.

Je sais que c’est leur destin, leur travail est là-bas.

Mais comme le Canada est loin sur cette carte !

Du haut du bastingage, leurs mouchoirs s’agitaient.

Le hurlement sonore de ce gros paquebot résonnait durement dans ce petit matin.

Les larmes retenues obstruaient ma vision, non je ne voulais pas qu’ils me quittent déjà.

Hélas ! Du quai, de là où j’étais, je ne voyais plus qu’un petit point au loin, et je rentrais chez moi pour pleurer ma tristesse.

 

 Gisèle

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Sur un quai de Polynésie

Combien de fois m’étais-je trouvé dans cette situation depuis que j’étais arrivée à Papeete ? je n’avais pas compté mais c’était à chaque fois la même séparation difficile : après trois jours à terre, départ pour dix jours en mer.

Dans la soirée, je l’avais accompagné jusqu’à la coupée, après un dernier baiser, vu monter à bord du Verdon, saluer le pavillon, puis disparaitre à l’intérieur. Ravalant mes larmes, j’étais retournée sur le quai qui longeait le port et j’allais rester là, jusqu’à ce que le bateau ne soit plus qu’un tout petit point presque invisible.

J’imaginais la manœuvre, tant de fois racontée, où, à la poupe, casque sur les oreilles, il retransmettait les ordres du commandant, venus de la passerelle. Je me disais : « lui est occupé, il n’a pas le temps de penser à notre séparation. Moi, sur ce quai, je ne fais que cela, le suivre des yeux et penser, incapable d’apprécier tout ce qui m’entoure et que quiconque, à ma place, trouverait merveilleux ». Mais voilà, j’étais faite ainsi, quand il n’était pas là, rien n’avait d’intérêt. Et je savais qu’entre les avaries de barre, de moteur ou autre, si ce n’était pas un incendie comme cela s’était déjà produit par le passé, les dix jours d’absence se prolongeraient, temps de dépannage oblige.

Certes, j’avais des ancêtres bretons, marins-pêcheurs, mais je n’avais pas hérité de la patience de leurs épouses pour qui le départ, l’attente et le retour faisaient partie de la vie. Mon côté terrien avait pris le dessus ! Je le voulais là, avec moi.

Tout ceci se bousculait dans ma tête tandis que l’image du navire diminuait. Enfin je quittais le quai, le cœur gros, en me disant que dans dix jours, ce serait le bonheur du retour.

Décidément, je n’avais pas l’étoffe d’une bonne épouse de militaire et je ne croyais pas pouvoir jamais le devenir.

Gill

 

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