Exercices de style: recherche du rythme et de la musique

 

 

Consignes de Delphine

Delphine Laurent, Animatrice Professionnelle d’ateliers d’écriture, anime exceptionnellement notre atelier de ce jour. Diplômée du D.U. d’animation d’ateliers d’écriture, ainsi qu’en histoire de l’art, ethnologie, chinois, FLE, elle anime des ateliers d’écriture pour tous publics, en médiathèques, maisons de retraite,, collectivités, festivals, associations. Elle a écrit sur l’art, les cultures, les pays (Maison des cultures du monde, Gallimard, Michelin, Revue de la céramique et du verre, Beaux-Arts Magazine, etc.). Elle aime favoriser la rencontre autour de l’écriture par des apports littéraires et artistiques.

 

Thème : Recherche du rythme et de la musique

 

Avant chacune de ses propositions Delphine explique les notions d’écriture courte (phrases courtes)  et d’écriture longue (phrases longues)

Elle lit des extraits d’ouvrages d’auteurs divers pour donner des exemples et glisser les écrivants sur le chemin d’écriture débuté par une musique appropriée afin d’en comprendre le rythme.

 

1ère proposition :

 

Ecrire un texte en écriture courte sur un rythme scandé (Scènes trépidantes). Sujet libre : voyage, polar, etc.

Ecriture courte mais efficace. Beaucoup de ponctuation. Ellipses.

(25mn)

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2ème  proposition :

 

Ecrire un texte en écriture longue : phrases longues et sinueuses. Images sensuelles, métaphores, sensations, mais pas de bavardage. Peu de points, des tirets. Détailler. Possibilité de remplacer la ponctuation par des conjonctions de coordination. Digressions, pléonasmes. Une seule phrase prenant de l’amplitude peut faire l’objet de tout le texte. Sujet libre.

(30mn)

 

Digression : n.f. - (S’écarter de son chemin). Développement étranger au sujet dans un texte, un discours, une conversation.

Ellipse : n.f. - (manque). Sous-entendu raccourci dans l’expression de la pensée. Fait de syntaxe ou de style qui consiste à omettre un ou plusieurs éléments de la phrase.

Pléonasme : n.m. - (surabondance). Répétition de mots dont le sens est identique.

 

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Jean-François Millet - Les Falaises de Gréville

wikimédia

 

 

Fuir

 

Il est libre Max ! Il court, il saute, il halète, il tremble. Son corps frissonne. Son esprit tourbillonne. Crier, clamer, hurler ! Mais il se tait. Il n’en peut plus. Course poursuite. Pourtant, rien au cul qu’un brouillard qui se referme, le pousse malgré lui en avant. N’importe où, vers la mer, le néant. Il ne sait. Il ne s’accroche plus à son passé. Derrière lui la galère, les flics, la geôle, la foule inerte. Pas d’amis, pas de vieux, pas de proches. La nuit engloutit tout. Le vent de la côte lui coupe le souffle. Vent du large, oppressant, aux poussées brusques et puissantes. Appel du large. Falaises inquiétantes qui ferrent les errants, les désolés, désespérés, les morts-vivants. Tumulte des vagues. Le sol et le ciel ne font qu’un. Jonction invisible qui happe. Noir définitif. Le néant.

 

Mouty

 

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SWATH pilot boat and bulk carrier

wikimédia

 

 

Arrivés au port, le bateau est là. Du bord, Yoann et Paul saluent le port et la ville. Les hommes aguerris ont envahis les couchettes. Les yeux ouverts, ils sont déjà partis. Leurs allers-retours incessants entre les deux rives effacent la magie du voyage. Pas d’au-delà,  pas d’inconnu, pas d’impatience.

Paul et Yoann trépignent au rythme sourd du moteur. Ils espèrent, ils sont tendus vers le large.

Enfin, le mastodonte se dégage du quai. Il sort de la rade. Le pilote repart à terre. Le navire est libre. Yoann et Paul à la proue avalent l’horizon. Demain, ils découvriront un autre monde, d’autres gens, d’autres villes, d’autres rues, d’autres parfums.

Claudie

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Export 67

wikimédia

 

Une voiture rouge sur le goudron noir. Le conducteur vire à droite, vire à gauche , mord sur l'herbe, redresse habilement . Il jette un regard aiguisé sur le compteur , se lance dans un nouveau virage ,   enfonce l'accélérateur , dévale la colline . Les freins gémissent : un petit lapin vient de surgir sur l'asphalte, la voiture se déporte, heurte la borne blanche , rebondit, franchit le vide et sombre dans l'océan.

 

Marie

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Le chemin

Un chemin qui monte. Des pierres qui roulent. La pluie qui ruisselle. Les roues qui patinent. Le moteur qui cale. La voiture qui stoppe. Embourbée ! On empile tout ce qu’on trouve derrière les pneus. Un, deux, trois coups d’accélérateur. Ça glisse, ça dérape, puis démarrage en trombe. Projections de boue et enfin arrivée en brinquebalant.

En haut, le village, une fourmilière. Dix cases, cent personnes qui s’agitent. Des femmes qui pilent, tournent, pétrissent, activent le feu.. Des hommes qui coupent, taillent, façonnent, sculptent. Des enfants qui courent, sautent, crient, pleurent, se bousculent. La vie, quoi.

Et moi, les bras chargés de cadeaux : stylos-bille, verroterie, colifichets. De quoi provoquer l’excitation de plus de trente paires d’yeux. Et des rires qui montrent les dents, des cascades de rires. Le bonheur, pour pas grand-chose.

Gill

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121029-G-ZZ999-002 - Coast Guard rescues crewmembers aboard HMS

wikimédia

 

 

Les vagues. De plus en plus hautes, de plus en plus fortes. La dernière, en balayant le pont sauvagement, a failli emporter Yan. Il s’est agrippé au bastingage et la mer n’a pas réussi à l’en arracher.

        « Qu’-est-ce que tu fous là, Nom de Dieu, hurle le capitaine, je t’ai dit de t’attacher au mat !! »

   Yan ne répond pas. Pas la peine. Pourquoi faire ? Pourquoi parler de ce qui fâche, si tant est qu’il pourrait se faire entendre dans ce boucan d’enfer. Et pourtant, il y en aurait à dire ! A commencer par : « C’est toi-même qui m’as choisi, Cap ‘tain, pour ramener les voiles. Alors qu’il était déjà trop tard. Hein, tu te rappelles ? Tu ne voulais pas nous écouter, les trois gars et moi ! Et quand tu t’es enfin décidé, la tempête était sur nous. » Faudrait trop en dire, du genre : « Et pourquoi ça ? Parce que t’es jaloux, gros lard. Parce que ta femme est trop jeune pour toi et qu’elle sourit quand elle me voit… Ouais, bien sûr que je vais m’attacher. »

      Mais Yan sait bien que cela ne servira à rien. Le vent se déchaine comme mille diables en furie ! Le bateau rebondit, tel un bouchon joueur, de vague en vague. Dommage. La pêche avait été bonne cette fois-ci. Tout autant que la paye qu’ils auraient touchée en accostant au port. Et alors, Yan aurait pu acheter la bague promise à Maryvonne. Depuis quand ? Il ne sait plus. Ils s’étaient fiancés tout mômes, un jour, pour jouer. Et à force de d’à pour rire, c’était devenu du d’à pour vrai.

      Maryvonne. Yan voudrait s’essuyer les yeux, plein de pluie, de mer et de larmes. Impossible  avec les mains liées. Maryvonne…

      Un craquement sinistre, plus fort que le tonnerre, et le mat est arraché. Il s’envole presque.

       Au même instant, le bateau est coupé en deux par une lame géante, tranchante comme une hache. Les deux moitiés sont englouties très vite. Avec le capitaine et ses matelots.

      Yan, toujours attaché au mat, flotte.

       Pour combien de temps ?

 

        El Pé

 

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Discotheque in Berlin

wikimédia

 

 

La boîte, il y a un demi-siècle

 

       Ma voiture avance lentement, cherchant méticuleusement des reflets d’antan, des souvenirs furtifs accrochés à une mémoire défaillante. Déraisonnable cette virée en catimini dans le passé qui se délite. Je savais pourtant que la nostalgie serait omniprésente, oppressante, qu’elle s’accrocherait à mes basques, lancinante, exténuante. Je savais pourtant qu’elle s’agripperait désespérément à mon désir d’oubli, à mon incertitude, à mes pensées secrètes, enivrantes, en me replongeant dans une autre latitude. Mon regard vagabonde de la route à l’emplacement de cette boîte de nuit mythique, tapie sur la frontière allemande, restaurant côté sud, chez nous, dancing côté nord, chez nos voisins de l’étranger ou de l’étrange. Boîte feutrée, à l’éclairage tamisé, rideaux rouges, tables nappées supportant les coupes de champagne et les bougeoirs, fauteuils profonds et banquettes douillettes vous recevant avec générosité, orchestre distillant tangos et blues suscitant des étreintes caniculaires sur une piste centrale située dans la pénombre, et garnie de danseuses lascives.

C’était il y a longtemps, si longtemps… Entretemps le déluge, ou tout, ou rien, une vie quoi. Ma mémoire baigne dans l’anti-déluge.

 

Mouty

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Tea ceremony

wikimédia

 

 

La chaleur heureuse se diffusait, sans retenue, irradiant au travers du verre, vers la paume engourdie de Yoann, donnant à cet instant précis –cette heure matinale où la lumière du soleil commence à se répandre sur les hauts murs blancs de la place du Grand Soko- une saveur particulière, celle du thé traditionnel, la boisson de ce pays, savourée sans retenue par les autochtones du matin jusqu’au soir, révélant en bouche le contraste entre l’amertume ancestrale du thé, le soyeux de la menthe fraîche et la douceur sirupeuse du sucre.

Yoann, béat, n’avait jamais imaginé être transporté aussi loin par un breuvage si simple, si courant qu’il aurait dédaigné en tout autre lieu, qu’il avait refusé de goûter, il ne savait plus combien de fois, le prenant pour un breuvage de grands-mères ; il y voyait aujourd’hui tout un pays : les villes ocres aux ruelles étroites envahies de chalands, d’hommes, de femmes, d’enfants et de bêtes de sommes livrant les marchandises, les dunes lointaines au sable crissant sous le pas des dromadaires suivant leur double dans une longue file dont l’ombre s’allongeait au soleil couchant, les barques bleues d’Essaouira balancées mollement par les vagues mourantes de l’Atlantique, les neiges de l’Atlas qui fondent en mille cascades, les fantasias animées immortalisées par Delacroix qui dans ses dessins saisissait par quelques couleurs la vivacité et l’audace de ces jeux équestres, tout un pays, qu’il avait hâte de découvrir.

 

Claudie

 

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WildZwijn cropped

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Le trophée

 

Le trophée trône au dessus de la cheminée monumentale et j’ai l’impression que le sanglier me regarde , ses yeux marrons me semblant aussi vivants que ceux de mon grand-père sur la photo où il apparait en costume de chasseur, le fusil aux pieds, la carnassière gonflée par le butin de sa matinée et moi, rempli d’un chagrin d’enfant ne supportant pas l’idée de toutes ces chairs mortes, de ces couleurs sans éclat, des ces plumes inertes figées dans une immobilité éternelle.

 

Ses poils gris entourent sa tête énorme et je me souviens des promenades d’antan où, saisis d’un frisson de peur mêlé à une étrange excitation, nous nous attendions à le rencontrer à chaque détour du sentier forestier, alors que les feuilles humides à l’odeur de terre mouillée rendaient notre marche un peu difficile sur les chemins du sous-bois, tandis que la pluie fine entrait par la moindre ouverture de nos vêtements et faisait frisotter l’extrémité de nos boucles brunes, ou que les rayons d’un soleil timide réchauffait à peine nos visages alors que ma main dans la tienne, maman, je goûtais aux joies de l’enfance, souriant à la vue de Wolf, notre beauceron noir et feu, nous précédant en gambadant, la truffe à ras de terre, humant les effluves de l’après-midi qui déclinait.

Le sanglier qui trône au dessus de la cheminée monumentale, ce sont les jours heureux que je regarde dans ses yeux.

 

Gill

 

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Plumeria obtusa (flowers)

wikimédia

 

 

L'homme barbu regardait pensivement sa feuille blanche, caressait de temps à autre ses cheveux gris , effleurait son cuir chevelu du bout des ongles et parfois pianotait sur son bureau,   l'inspiration était très longue à venir ; ce matin là , il avait pourtant eu envie d'écrire dès son réveil mais il avait regardé la photographie sur la cheminée du salon et depuis , son esprit voguait dans le passé , ne pouvait se détacher de cette large baie aux eaux limpides et  translucides où il avait coutume de nager avant de se reposer à l'ombre d'un odorant frangipanier ; la seule évocation de cet arbuste  lui semblait remplir la pièce de son parfum inégalable , la fleur aux pétales blancs et au coeur jaune apparaissait devant ses yeux  et il lui semblait en sentir encore la douceur sous ses doigts... « les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus» pensait-il.

 

Marie

 

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