Jalade

pixabay

 

 

JALADE

On l'appelait Jalade mais en fait, on n'a jamais bien connu son vrai nom.

Fils de ce qu'on appelait une fille de ferme, jeune femme hélas sans instruction et sans éducation, corvéable à merci, mal payée et souvent maltraitée, il avait été conçu à la fin d'un bal du 14 Juillet .La future maman pensait que le père, c' était le Saint-Esprit et que ce jour-l, il avait pris la forme d'un beau garçon à lunettes aux verres épais comme des culs de bouteille,  mais qui louchait à peine ; chauve, il arborait un chapeau comme on en porte à la ville et il était vêtu d'un costume de coutil noir comme on en met le Dimanche à la campagne;  Il lui avait promis le paradis, ce qui, pour ce qui est du St Esprit est bien la moindre des choses; elle l'avait crû et depuis, elle avait vécu l'enfer. Il n'est pas facile de se retrouver mère célibataire dans ce milieu rural et arriéré,  à cette époque-là.

La seule chose qui pouvait rapprocher le pauvre Jalade de l'enfant Jésus, c’est que, comme la vierge Marie, sa mère avait accouché seule, dans une étable, entre une vache éberluée et un âne gris.

Malgré des antécédents héréditaires vraisemblables d'alcool et de consanguinité, malgré les conditions d'hygiène déplorables de cette maternité de fortune, l'enfant avait survécu.

Dès son plus jeune âge on se rendait bien compte qu'il n'entrerait jamais à Polytechnique, mais par contre qu'il était programmé pour suivre une vie de misère et de bête de somme. En grandissant, il passerait de ferme en ferme où on l'emploierait chaque fois à exécuter les basses besognes et sa vie se déroulerait au milieu de la bouse des vaches, du lisier des cochons et du fumier des canards. Quand il eut atteint l'âge de la conscription, comme la France n'était pas en guerre, il ne fut même pas retenu pour partir à l’armée. On le condamnait donc à finir sa vie dans le malheur, la tristesse, la crasse et la pauvreté.

C'est ainsi que mes aïeux l'ont rencontré. La grand-mère ,le prenant en pitié lui donna quelques habits que le grand-père traînait dans une malle au fond de la charrette en cas de nécessité. Il s'en trouva fort reconnaissant car s'il n'avait pas beaucoup de jugeote et malgré les aléas de la vie, il avait du cœur. Ainsi, un jour que sonnait le retour des aïeux dans la plaine, alors qu'ils venaient de livrer leur vin et qu'ils repartaient avec un chargement de volaille, ils le trouvèrent, habillé de linge propre, assis sur le bord de la route, sur une de ces grosses pierres qui délimitent les propriétés agricoles de ces gens qui avaient si bien su l'exploiter .Il tenait dans ses mains un énorme bouquet de fleurs des champs multicolores , arrangées du mieux qu'il avait pu et qu'il offrit à ma grand-mère avec un sourire béat de reconnaissance.

Sachant ce que ce pauvre garçon endurait ce dont son avenir serait fait, ils lui proposèrent de l'emmener avec eux. Le bonheur illumina son regard. Et c'est ainsi que, plein d’espoir, Jalade  se retrouva quelques jours plus tard, à Nissan lez Ensérune.

 

 

Les exploits de Jalade

Dès son arrivée à Nissan, Jalade s'est mis au travail dans la petite propriété de mes aïeux. Contre le gîte, le couvert et quelques espèces sonnantes et trébuchantes qu'on lui remettait chaque fin de semaine et qui lui permettaient d'améliorer son ordinaire (amélioration d'autant plus facile qu'il partait de rien) il représentait une main d'œuvre non négligeable d'autant que, comme on dit chez nous, il n'était pas fainéant.

A cette époque-là les marchands des poisons dits phytosanitaires destinés à sauver l'agriculture tout en exterminant ses consommateurs, n’avaient pas encore pignon sur rue. On se contentait pour traiter les maladies de la vigne , du soufre et du sulfate de cuivre que l'on dispensait sous forme de bouillie bordelaise après l'avoir mélangé avec de la chaux éteinte.

Pour ce qui était des engrais, on rependait sur la terre le fumier des chevaux et lorsque c'était insuffisant, on achetait à bas prix un lot d'ordures ménagères que la mairie vendait en adjudication.

Dans ces ordures, dont la majeure partie se composait de produits qu'on pourrait qualifier de biodégradables, on trouvait de tout. Il n'était pas rare de rencontrer au milieu des vignes des semelles caoutchoutées de vieilles pantoufles ou tout autre produit de consommation courante non dégradé par la nature.

Jalade, au hasard de ses travaux viticoles y avait découvert ce qu'il pensait être un porte-cigarette; le même que celui qu'il avait vu dans la bouche de cet homme si élégant qui faisait la une du journal du grand-père. Comme il ne savait pas lire, il l'avait pris pour une vedette de music-hall; il s'agissait simplement d'un proxénète notoire qui venait d'être condamné à dix ans de prison.

Le Dimanche suivant, propre comme un sou neuf (on lui avait montré où se situaient les bains-douches publics et comment s'en servir), sapé comme un ministre, il alla voir la grand mère, arborant fièrement son porte-cigarette dans lequel il avait introduit une cigarette de tabac gris qu'il venait de rouler.

«   –   Qu'est-ce que tu trafiques avec cette affaire ? Lui demanda la grand-mère

       Patronne, à la vigne, j’ai trouvé un bouquin, (qui comme chacun le sait représente cette partie du tuyau de pipe ou du narguilé qu'on introduit dans la bouche, pour les fumer).

           Et, regardez comme il est moderne ; il a même un petit robinet qu'on peut    ouvrir ou fermer, un peu comme le tirage du poêle à bois que j'ai dans ma chambre.

       montre-moi ça, dit la grand-mère, que je l'examine de plus près.

Ah ! Espèce de cochon ! Tu sais ce que c'est ?

       Oui, un fume cigarette !

       Mais non espèce d'andouille ! C’est une canule de lavement usagée. J'espère qu'au pire, tu l'as bien lavée avant de t'en servir

       Pas la peine, vous voyez bien qu'elle est comme neuve !..... »

Sacré Jalade ! Mais cet exploit en appelait d'autres

 

 

Jean-Pierre

 

Suite des aventures de Jalade

 

 

pixabay

 

 

Suite des aventures de Jalade

 

Comme vous ne le savez peut-être pas la fabrication du vin à partir des raisins se fait grâce à la fermentation du moût sur lequel agissent les levures contenues sur la peau des grains.

En fracturant cette peau par des procédés mécaniques (foulage, pressage..) le sucre contenu dans la pulpe du fruit entre en contact avec les levures et, si la température dépasse 12°Celsius, la fermentation peut débuter. Il se transforme alors en alcool.

Pendant cette fermentation qui peut durer de quelques jours à 1 mois, apparaissent des composés secondaires sous forme d’acides, d’esters, de glycérol, mais surtout de gaz carbonique plus lourd que l'air et hautement toxique pour l'homme .Cette production de gaz peut être si importante qu'elle provoque un véritable bouillonnement dans les cuves.

Quand la fermentation est terminée, on extrait le vin en formation de la tine où elle a eu lieu et il ne reste plus qu'à sortir le marc résiduel . Pour ce faire, il existe une petite trappe au bas du foudre ou de la cuve  et, après en avoir dégagé l'accès pour en sortir les résidus solides à l'aide d'une fourche recourbée on doit y  engager le haut du corps.

Comme je vous l'ai expliqué plus haut, la cuve, dans sa partie basse regorge d'un gaz plus lourd que l'air et mortel pour l'homme : le gaz carbonique.

Avant de procéder à toute opération, on doit, par nécessité s'assurer que la cuve ou le foudre ont été suffisamment aérés et qu'il ne persiste aucune trace de CO2.

Pour ce faire, on s'aide d'une bougie éclairée qu'on introduit allumée dans la cuve et qui sert de test. Si la bougie s'éteint c'est que l'atmosphère est encore trop riche en gaz carbonique et trop pauvre en oxygène. Pénétrer dans la cuve représente un véritable danger mortel.

Jalade lui, avait simplifié le système et cédant à l'appel des sirènes de la modernité, il avait remplacé la bougie par une lampe électrique.........

Heureusement pour lui, son copain Toumasset, plus aguerri  a pu mettre fin prématurément à son expérimentation pseudo scientifique et vraisemblablement lui sauver la vie.

 

Jean-Pierre