Le sac: un visage, une vie

 

es objets suivants sont sortis d’un sac noir qui n’est pas à vous.

 

Mots croisés / cigale en céramique / carnet / pense-bête / flacon de parfum / petit paquet de gâteaux / lettre déchirée / lettre froissée / paquet de mouchoirs / brosses à dents / rouge à lèvres / poudrier / petit cœur avec l’inscription « maman » / ombre à paupières / miroir-brosse / stylo / étui à lunettes

 

 

 

En 20 à 25 minutes, écrire un texte nous éclairant sur la propriétaire du sac et ce qu’elle faisait avant qu’il ne soit entre vos mains.

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Inventaire

 

-Je vous jure, m’sieur le Commissaire, que je l’ai trouvé ce sac !

-Ouais, bien sûr Jojo. Je sais bien que tu ne vas pas me dire le contraire…Mais dis-moi un peu, quand l’agent Blanchard t’a arrêté, avec ce sac à la main, t’allais où ? Hein ?

-Mais au commissariat, je me tue à vous le dire !

-Admettons. Et tu l’as trouvé où, ce sac ?

-Cela fait trois fois que je vous le dis, M’sieur le Commissaire ! Sur un banc du Plateau des Poètes…Abandonné, qu’il était…

-Bon. Robert, vide-donc le sac sur la table. Là, voyons un peu : de quoi se coifferse maquiller : OK, une jeune femme. Carnetsagendasstylo : employée de bureau à l’évidence. Cigale en plâtre, petit cœur avec « maman » écrit dessus : sentimentale à coup sûr la gazelle. Une midinette, quoi. D’ailleurs, le sac lui-même, style fillette, en dit long à ce sujet, pas besoin d’aller chercher les psys de la PJ. Ah oui, des crackers : tout le repas de midi de la midinette, manière de garder la ligne en faisant des économies.

     Bon. Passons aux choses sérieuses : deux lettres. L’une déchirée, l’autre chiffonnée ; Robert, toi qui aimes ça, reconstitue le puzzle de la première pendant que j’essaie de déchiffrer la seconde… Mais avant tout, dis-donc, Jojo, tu ne remarques rien d’anormal ?

-Non, M’sieur le Commissaire, je ne vois pas…- -

-Tu ne vois pas ce qui manque ? Ça ne te saute pas aux yeux ?

-Ben non M’sieur…

-Il manque le portefeuille et le porte-monnaie, abruti ! Allez, avoue ! Tu les as chourés en route, pas vrai ?

-Non, j’vous jure, M’sieur le Commissaire !!

-Tu parles ! Allez Robert, fouille le.-

-Y avait pas de portefeuille. Juste un porte-monnaie en pastique rouge avec un billet de cinq euros dedans. J’ai pris l’argent et j’ai jeté le porte…

-Ouais. On verra ça plus tard. La lettre. Passe-moi mes lunettes, Robert. Alors : « Ma chérie, bla blabla, bla bla, bla », en fait, le mec lui annonce qu’il se barre. Et toi, Robert, le puzzle ?

-Ca y est, Commissaire. Regardez, ça ressemble à une lettre d’adieu : « Je demande pardon … » Quoi, qu’est-ce-qu’il y a? Oh ! C’est Garcia, il veut vous dire quelque chose Commissaire.-

-Oui Brigadier, je vous écoute

-Commissaire, c’est pour vous prévenir qu’on vient de découvrir une femme décédée au Plateau. Elle avait la tête enfoncée dans le bassin aux poissons rouges. Avec toute la vase et les saletés que balancent les touristes, c’était pas beau à voir…

-Je m’en doutais. Alors Jojo, tu ne dis-rien ? Va falloir te mettre à table bonhomme, et fissa !

-Mais que voulez-vous que je dise, M’sieur le Commissaire ? Cette pauvre fille, se foutre en l’air pour un mec, si c’est pas malheureux ! En pleine jeunesse, et belle comme tout…

-Ah ! Tu viens de te trahir, crapule ! Comment tu le sais qu’elle était belle, hein ? C’est toi qui lui as flanqué la tête sous l’eau !!

Je vois la scène comme si j’y étais. Il n’y avait personne à cette heure-là. Tu as remarqué la nana, et tu t’es assis près d’elle avec l’intention de lui piquer son sac et te cavaler avec. Seulement la fille, déprimée, a lié conversation, et t’a raconté un peu sa vie. Toi alors tu as saisi l’occasion de pouvoir voler sans témoin, sûr que l’on prendrait la mort de la fille pour un suicide.

             Seulement Jojo, tu as commis une erreur, une erreur colossale ! Pourquoi, si elle avait eu l’intention de mourir, aurait-elle déchiré sa lettre d’adieu ? Allez, ça s’est effectivement passé comme ça n’est-ce-pas ? Avoue !

-Oui

-Et tout ça pour cinq euros ! Robert, passe-lui les menottes.

-Voilà, c’est fait. Commissaire, vous êtes vraiment très, très fort !!

-Ouais. Je sais.

 

               El Pé

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Le sac en dit long…

 

Mon Dieu, je vais être en retard au gala de danse de Ludivine. Impossible, elle ne me le pardonnera pas deux fois ! L’année dernière, déjà, j’ai dû déployer des trésors de diplomatie pour qu’elle comprenne que je n’avais pas oublié mais qu’une réunion de bureau m’avait retardé. Et oui, même un samedi après-midi, cela arrive. De plus, sa mère ne m’avait pas facilité la tâche. Il faut dire qu’Elodie n’a jamais supporté que je fasse passer mes réunions professionnelles avant nos enfants.

 

Bon, un appel sur mon portable maintenant. Ah, c’est Elodie ; qu’est-ce qui ne va pas encore ?

« Allo oui Elodie, qu’est-ce qui se passe, je suis prêt à partir. Quoi ton sac noir avec la fleur? Tu l’as oublié chez moi quand tu es venu chercher Ludivine hier soir. Non je ne l’ai pas vu ; où exactement ? Au pied du fauteuil rouge. Bon je vais voir et oui, je te le rapporte ; à tout à l’heure. »

 

Toujours aussi tête en l’air Elodie. Ah le voilà son sac, coincé entre le fauteuil et la table basse. Et zut, j’ai tout fait tomber, j’aurais dû me douter qu’il n’était pas fermé, comme d’hab’. Il fallait bien que ça arrive maintenant !

Quel fatras d’objets hétéroclites, elle n’a pas changé. Bon je vais tout remettre sans prendre trop de précautions : son sac est toujours mal rangé.

 

Les mots fléchés, son parfum préféré – toujours le même –, des gâteaux pour ses petites faims – elle a toujours grignoté –, sa brosse à dents, son rouge à lèvres, son ombre à paupières et son miroir-brosse, pour être toujours impeccable – pas comme son sac –, des mouchoirs, le petit cœur de Ludivine et la cigale en céramique de Nathan qu’elle a toujours avec elle, son stylo, son pense-bête et son carnet pour pouvoir noter la moindre idée pour écrire un jour ses mémoires, dit-elle – elle s’y prend à l’avance – et son étui à lunettes de soleil, évidemment sans les lunettes.

 

Tiens, des lettres. Celle-ci est déchirée et je reconnais mon écriture. Oh c’est vieux, ça, elle date d’avant notre divorce. Elle l’a déchirée et conservée ; je ne le savais pas. Et celle qui est froissée, je parie que c’est sa réponse ; je n’ai même pas besoin de regarder, je le sens.

Bon, tout est rangé. Il n’y a pas à dire, dans ce sac, il y a tout Elodie : sa vie, ses pensées, sa manière d’être. J’en ai fait l’inventaire et c’est elle que je vois, tellement complexe, aussi distraite qu'elle peut être concentrée, mélange d’élégance, de fantaisie mais aussi de rigueur, agaçante mais si attachante, sur mon canapé rouge. Et cela me rend mélancolique. Pourquoi avons-nous divorcé déjà ?

 

Allez, il faut que j’y aille sinon je serai vraiment en retard. Et n’oublions pas le sac !

 

Gill

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