Odeur, odeur, quand tu nous tiens!

 

Après avoir cherché des mots évoquant les odeurs

parfum / puanteur / senteur / âcreté / nauséabond / odorant / sucré

fragrance / poivré / rance / soufré / aigre / nez / suave / respirer

doucereuse / exhaler / entêtante / humer / relent / arôme

pestilence / fumet

 

chacun en choisit cinq qu’il met en scène dans un texte qui a pour thème

Une odeur vient de faire ressurgir du passé un souvenir

 

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Terrorisme OAS Bab El Oued (guerre d'Algérie)

wikimédia

 

                                                     Bouffée de passé

     Ca vient toujours quand on ne s’y attend pas, bien sûr. On est tranquille, respirant avec délice enfin, après une journée torride, quand soudain…Au détour d’une rue, portée par un indétectable courant aérien, un OPNI-Odeur- Planante Non Identifiée (sur le moment), vient frapper votre nez de plein fouet. Alors, sans qu’une once de volonté n’intervienne, comme une irrépressible marée, le souvenir vous submerge. Aigre-doux, clair-obscur, c’est selon.

    Pour moi, il y a de cela une dizaine d’années, ce fut le délicat fumet du bitume chauffé au soleil,  par une fin d’après-midi  d’été qui opéra le miracle, sans que le plus petit pressentiment ne m’y eût préparée.

        Voyage dans le temps instantané, je me suis aussitôt retrouvée, tout juste âgée de onze  ans, dans ma ville natale, en Algérie. Le soleil allait bientôt se coucher et de la route goudronnée montait une senteur âcre et chaude, entêtante et excitante à la fois, un peu mystérieuse, un peu effrayante, qui nous mettait tous dans un état de réceptivité dont nous n’avions pas conscience. Nous les gosses. La bonne douzaine que mon père promenait le soir, à la fraiche, pour, disait-il, nous faire découvrir la nature et surtout parce qu’il aimait ça.

      Le pauvre, ce fut la dernière fois qu’il en eut l’occasion. En fait de découverte, ce fut celle d’un cadavre que nous fîmes, dans le fossé bordant la route, ce qui nous emplit de terreur et de fascination. Mon père, dans sa grande sagesse, ne nous laissa pas le temps de nous complaire dans cet état si intéressant. Il nous ramena dare-dare à la civilisation avant de prévenir la Police.

      Ce fut notre premier contact direct avec la guerre, irréelle jusqu’alors. Pour nombre d’entre nous, il y en eut d’autres, plus tard. Avec cette guerre, terrible… que j’avais, jusqu’à ce soir d’été d’il y a dix ans, réussi à presque oublier.

     El Pé

 

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La boîte de cire

Il y avait bien longtemps que je n’avais pas ciré le petit buffet du salon. Je remets toujours à plus tard cette tâche un peu ingrate qui demande beaucoup d’énergie, tant il faut frotter pour avoir un résultat parfait.

Aujourd’hui, c’est décidé, je m’y mets. Dès l’ouverture de la boîte de cire des antiquaires, l’odeur me transporte dans l’appartement parisien où j’ai grandi. Ce parfum un peu sucré, cette odeur un peu doucereuse respirée tant et tant de fois, me rappelle les retours de vacances, quand, dès l’entrée dans le couloir,  elle emplissait mes narines de quelque chose d’indéfinissable, de familier, d’heureux, qui me replongeait dans un cocon que j’avais plaisir à retrouver et où je me sentais protégée. Je me revois en train de humer le parquet et les meubles odorants, en train de retrouver un lieu de vie auquel je repense toujours avec tendresse aujourd’hui. Je revois ma mère caresser doucement le bois, remettre en ordre les cadres, les napperons, les bibelots. Je revois la douce lumière du lampadaire à tablette éclairer le salon, je revois les fêtes, les anniversaires, les noëls.

Ce parfum de cire, c’est mon enfance. Il me suffit de le sentir ou même de l’évoquer pour m’y retrouver plongée.

Gill

 

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Sauce poivrade

wikimédia

 

Je rentre d’une promenade en forêt. Il fait froid, la maison bien chaude m’accueille et je me dis, ravie, « tu vas te faire un bon thé », de ces thés parfumés aux agrumes qui évoquent davantage d’odeurs que de goût. Et là, réchauffée, je gamberge.

C’était dans une autre vie, celle où nous étions quatre au lieu de deux, joyeux autour d’un repas de chasse. Je revois ce pauvre lièvre, tournant avec sa broche, dans la cheminée, auquel je consacrais beaucoup d’attention en préparant en même temps la sauce poivrée qui l’accompagnerait et qu’on appelait poivrade. Le fumet qui s’en dégageait me remplissait le nez, mêlé aux odeurs de bois dans la cheminée, à celle du sapin dans la pièce voisine, des clous de girofle jetés sur la braise.

Est-ce que j’avais vécu tout ça ou était-ce la réalité ? C’était tellement réel qu’un instant, j’avais oublié que c’était il y a trente ans.

Simone

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Odeur et souvenirs

Quand certaines odeurs de cuisine me montent à la tête, je sens  battre mon cœur.

Lorsque j'étais enfant, ma grand-mère, véritable cordon-bleu, mijotait sur son fourneau, de ces plats délicieux, qu’on dégustait en famille, assis autour d'une grande table les jours de fête

Une odeur ressentie il y a quelques jours, m'a propulsé d'un coup en ces temps très lointains.

Les images d'antan viennent dans ma mémoire et j'y revois mes anciens bien aimés aujourd'hui disparus.

Certains peut-être vont rire ou bien se moquer, mais l'odeur du

"tripat" qui mijote dans l'âtre, chatouille mes narines et réveille mon cœur

L'arôme de tel vin qu'on hume avant de boire, et les senteurs suaves que la cuisine exhale peuvent par quelque biais, nous combler de bonheur.

Grand-mère, dors tranquille, je pense très souvent aux moments chaleureux qu'on a passés ensemble, et ces odeurs d’enfance, m'emplissent de plaisir et calment mes regrets.

Jean-Pierre

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pixabay

 

 « Bonjour monsieur louis

–Euh c’est pas Louis , c’est Marcel, Marcel PROUST docteur.

–Ah oui, c’est  vrai excusez moi, et … ça se manifeste comment ces symptômes ?

–Et bien les choses me parlent docteur.

–Ah ! Et … elles vous disent quoi ces choses ? Maryse veuillez appelez les infirmiers s’il vous plaît… merci.

–Les arbres m’appellent en agitant leurs bras, ils me proposent de percer leur secret ; les pavés inégaux de la place Saint Marc à Venise m’ont lancé un message, une serviette de table empesée m’a interrogé par sa raideur amidonnée, le tintement du marteau du cheminot vérifiant les freins de la locomotive m’a interpellé , les lilas , les aubépines, m’ont délivré des messages, même les clochers de Martinville se sont déplacés devant mes yeux en m’invitant à découvrir l’énigme qu’ils me proposaient , et je ne parle pas de la petite madeleine que tous les élèves étudient en classe ! Oui, bien sur … donc vous écrivez ?

–Oui évidemment entre deux crises

–Pardon , vous avez dit des crises ?

– Justement j’avais prévu de vous demander si c’était possible de tapisser ma chambre de panneaux de liège , il me faudrait aussi des fumigations et quelques bouteilles de cognac … je fais des crises d’asthme, je crois qu’il y a une chambre inoccupée en face de la mienne , ce serait pour Céleste, ma gouvernante , il me faudrait aussi le code de la porte d’entrée pour que les employés du Ritz puissent m’apporter un en cas : j’ai souvent une petite faim vers  trois heures du matin.

Bien sur, monsieur Lo … euh pardon, monsieur Marcel ! Ah voici les infirmiers ! Roger, Mathias et Georges, ils sont très gentils et vont faire tout ça: puis je  voir ce que vous avez écrit dernièrement ?

–Attendez, je cherche le cahier « babouche » ah voilà, je vais vous le lire :

«  Les jeunes filles en fleurs sur la plage de Balbec me font signe en riant , l’une d’elle s’approche et vient m’embrasser, son sourire est radieux , je dépose un baiser sur sa joue et vole un peu de parfum légèrement poivré sur son long cou tout blanc qu’elle fait mine de dérober à mon empressement , ne pouvant toutefois se retenir de laisser échapper un murmure de plaisir à peine dissimulé, soit qu’elle ressente  et apprécie le message délivré par mes lèvres incandescentes, soit qu’elle éprouve plus prosaïquement la satisfaction de montrer à ses amies qu’elle fait l’objet de toutes les attentions d’un jeune homme locataire de l’hôtel le plus huppé de la station balnéaire à la mode  . Tandis qu’elle fait demi tour à la valse virevoltante de sa jupe dévoilant par intermittences ses longues jambes légèrement cuivrées par le soleil d ‘été, je chaloupe et chavire et ne dois mon salut qu’à un banc qui me tend les bras. Je ferme les yeux et soudain je me sens saisi, emporté, enlevé par  la doucereuse fragrance qui flotte encore   à la délicieuse absence de l’être de fuite qui se retourne en riant. Je flotte et vole à travers les années , le temps est aboli, les réminiscences accourent , je revois avec une exactitude millimétrée l’escalier à l’odeur de vernis légèrement soufrée, que je gravissais dans la souffrance de ne pas pouvoir, par la faute de la visite inopinée de monsieur Swann, serrer dans mes bras Maman , m’anesthésier doucement dans l’arôme délicieusement odorant de sa chevelure comme autant de promesses de « je t’aime », sous la chaude et réconfortante senteur de ses bras qui m’eussent protégé et laissé le délicieux fumet de son châle que j’eusse conservé et roulé en boule pour m’y blottir comme dans un nid douillet. Françoise a-t’elle  remis mon message a maman ? Elle m’affirme que oui… avec une moue à peine voilée, soulignant sa désapprobation face à un enfant trop gâté.

 

Le docteur et les infirmiers somnolent, visiblement anéantis par ma prose : on me félicite, on me congratule, les infirmiers se prosternent devant moi, on me donne du « Monsieur Marcel Proust », on m’installe dans un fauteuil roulant, je ressens la brûlure aiguë d’une seringue, je suis entre de bonnes mains !

Louis

 

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