Histoires de soins

 

 

Radiated Tortoise (Astrochelys radiata) (9583610710)

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Histoires de soins.

Loulou surtout, mais parfois moi aussi, nous avons eu l'occasion d'aller dans des hôpitaux africains et autres. Tous présentaient à nos yeux une particularité étonnante.

La toute première fois se situe dans l'hôpital de Diego-Suarez, à Madagascar. J'ai eu l'occasion d'y aller pour passer une radio. Un grand manque de chance a fait que l'appareil était en panne...depuis un an, m'a dit l'infirmière en me le faisant "visiter"; mais il serait opérationnel d'ici très peu de temps, m'a-t-elle affirmé très sérieusement! Je suis restée deux ans à Diego mais je n'ai jamais pu passer la radio en question...Par contre, à chaque fois que j'ai fait une tentative, j'ai pu admirer la mascotte de l'hôpital: une magnifique et étonnante tortue, parfaitement monstrueuse par sa taille. Elle mesurait bien soixante-dix à quatre-vingts centimètres de haut et sa carapace arborait une grosse croix-rouge sur un fond tout blanc. Symbolique, non? Souvent, j'ai vu un enfant assis sur son dos, les jambes presque à l'horizontal à cause de la taille de la monture. A défaut de soins, il restait ce spectacle car je trouvais fascinant de voir la tortue sortir une langue d'une quinzaine de centimètres de long...

À Annaba, en Algérie, Loulou a eu l'occasion, à cause de ses fonctions, d'aller rendre visite à un employé souffrant d'un traumatisme crânien. Entré dans sa chambre, sachant que le blessé attendait une intervention, il a eu la surprise de le trouver bien sûr inconscient, mais doté...d'un superbe plat de couscous refroidissant sur sa table de chevet, évidemment intact. Pour soigner un homme gravement blessé, il fallait attendre, mais pas pour le nourrir.

A Brazzaville, au Congo, Loulou a vu dans la chambre d'un malade, conscient celui-là, toute la famille entourer le lit et une femme, sur le balcon, en train de cuisiner le plus simplement du monde, sur un brasero posé à même le sol. L'hôpital ne nourrissait pas les patients, la famille se chargeait de le faire...avec les moyens dont elle disposait. Mais pour un Européen, transformer une chambre d'hôpital en cuisine, c'est bien sûr bizarre. Tout de même, la brave cuisinière avait pris la précaution de poser le brasero...sur le balcon. C'était louable de sa part! 

Dans la chambre dont il est question, je devrais peut-être dire le dortoir, les malades étaient tous couchés sur de simples toiles cirées, sans aucun drap, deux par lit...et tête-bêche. Spectacle extrêmement surprenant! Mais il est certainement meilleur de pouvoir se faire soigner quelles que soient les conditions...plutôt que de rester sans soin. 

 

Fabienne

 

 

Euscorpius Southern France2

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Histoires de soins (suite)

Loulou a eu deux fois l'occasion d’expérimenter personnellement le savoir-faire du corps médical algérien. Les deux fois, il n'a eu qu'à se louer de la gentillesse et de la disponibilité du personnel. Quant aux soins, tout n'est qu'une question d'appréciation.

La première fois, Loulou s'était fracturé un poignet. Nous devions partir nous promener à cheval et, se retournant vers moi car je resserrais ma selle, il s'est arrêté pour m'attendre. Qu'a fait sa monture? L'herbe, d'un joli vert tendre étant trop tentante, elle a tout simplement baissé la tête pour y goûter. Mais voilà, Loulou ne s'y attendant pas s'est laissé surprendre. Je l'ai vu glisser lentement le long du cou de R'Mel, incapable de se retenir et tomber sans violence. La malchance a voulu que ce soit son poignet qui reçoive tout le choc. Comme il souffrait beaucoup, et que l'articulation gonflait à vue d'œil, nous sommes donc allés aux urgences, à l'hôpital d'Annaba. Là, après une petite attente, un médecin est venu s'occuper de lui. Il a placé la main de Loulou sur une table et, aidé d'un infirmier, a étiré, tortillé, remis  les os en place, le tout accompagné de grimaces de douleurs de la part du blessé! Puis  le médecin est parti, chargeant  l'infirmier de plâtrer la fracture. Ce dernier a commencé par "rectifier"  le travail de son chef; il a dit: «Ah! Voyons voir!". Puis il a empoigné le bras fracturé, et a commencé, lui aussi, à le triturer, toujours accompagné des grimaces de douleurs de Loulou. Un petit coup à droite, un petit coup à gauche,...en tirant, en poussant. Il s'est enfin arrêté en soupirant: "Ah! oui! C'est bien comme ça!", visiblement satisfait de son travail. Ensuite, il s'est dirigé vers une armoire métallique ouverte, y a pris un cendrier qu'il a déposé sur la table, puis une seringue et une aiguille qu'il a rangées avec précaution... dans le cendrier, propre, je l'affirme. N'oublions pas que le matériel de l'époque n'était pas jetable. Il a enfin fait une piqûre antitétanique dans le poignet de Loulou. Pour une fracture?...Oui!

Après tous ces soins, il a tout de même fait le plâtre adéquat. Pendant ce temps, j'étais debout, appuyée contre le Poupinel et à un moment, j'ai jeté un coup d'œil à l'intérieur car la porte était entrouverte. J'ai eu la surprise de constater qu'il devait servir, en plus de la stérilisation des instruments chirurgicaux à réchauffer les aliments. Depuis, on m’a affirmé qu'en France aussi, c'est une pratique courante. J'en doute. )

La chute de cette histoire, c'est qu'une petite semaine après, la main bleue et enflée, Loulou s'envolait vers la France pour faire refaire son plâtre.

Mais je répète que les personnes à qui nous avons eu à faire étaient charmantes et disponibles.

La deuxième fois concernait une piqûre de scorpion. En remuant un caillou, Loulou l'a subie sans pouvoir l'éviter. Nous voilà donc repartis une nouvelle fois aux urgences! Accueil charmant et grands sourires à nouveau, dans le premier hôpital. Le médecin nous a dit qu'il n'avait pas de sérum antivenimeux mais qu'il allait donner les premiers soins. Il a fait une piqûre antitétanique près de la marque laissée par le scorpion, puis il a entortillé grossièrement le poignet et la main de Loulou dans une longueur phénoménale de gaze qu'il a enfin arrosé copieusement d'alcool camphré.

Il nous a quittés en nous indiquant l'adresse de deux établissements où nous pourrions peut-être trouver le sérum.

Je n'ai aucun souvenir de l'un des deux, mais de l'autre, oui. On nous avait indiqué le chemin à  suivre dans ce dernier pour atteindre la pharmacie. C'était un peu compliqué mais surtout très éprouvant à un endroit très particulier, nous avons dû longer une sorte de cage. J'emploie ce  mot à défaut d'en trouver un plus approprié. Elle était composée d'une immense cour fermée par une grande grille. Derrière celle-ci se trouvaient des gens tout nus ou habillés, si l'on peut dire, de quelques haillons. Il était parfaitement visible que tous ces «prisonniers" étaient des aliénés mentaux. De les voir ainsi tous regroupés était très très pénible. Epouvantable.

A la suite de cette recherche vaine, il a bien fallu se passer de tout soin spécifique... Un employé algérien avait demandé à Loulou :"Il était comment ton scorpion: blanc ou noir?" A la réponse: "Noir!", il a conclu:" Tu auras beaucoup de fièvre cette nuit, tu auras très mal dans tout le bras et celui-ci va énormément enfler mais...tu ne crèveras pas, Patron!". Tout était parfaitement exact.

 

Fabienne

 

 

Baghdad collage

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Histoires de soins (suite)

Maintenant, je vais faire un petit détour chez le dentiste. Vous vous rappelez celui d'Aïn-el-Turck, en Algérie? Il opérait debout sur le trottoir, le patient assis par terre, adossé à un copain et il utilisait une énorme pince effrayante... Le sol était jonché de débris innommables: des dents arrachées sanguinolentes! 

Le deuxième était le seul opérant à Bagdad. Il parlait un français hésitant mais très compréhensible. Il a très bien soigné la dent de Loulou... malgré la bizarrerie de son cabinet. Celui-ci ressemblait  étrangement à un atelier mal rangé à cause du bric-à-brac qu'il contenait: il était rempli de machines très bizarres. La partie vraiment extraordinaire devait être ce qu'il appelait sa table de travail: elle était recouverte d'un méli-mélo de cassettes, d'instruments divers en vrac et de postes à transistors. Lorsqu'il voulait un quelconque outil, il farfouillait dans le tas! Le bloc-roulette devait dater de Mathusalem; une multitude de câbles et de fils en pendaient. Folklorique!!! Mais en plus du souvenir pittoresque qui nous reste, il faut retenir l'efficacité de ce dentiste.

 

Fabienne

 

 

Lockheed LASA-60 XB-GUZ c61 (mfr via RJF) (18350167242)

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Histoires de soins (suite)

Voici maintenant l'aventure survenue à un employé ivoirien de Loulou. Ce gentil garçon a commencé à se sentir mal puis au fur et à mesure que le temps passait, il avait de plus en plus de difficultés à respirer. Le médecin français du camp n'a jamais réussi à le soigner efficacement: sa santé continuait à décliner, même consigné en permanence à l'infirmerie. Conseillé par des copains du malade, Loulou l'a fait repartir chez lui, en brousse.  Quelque temps après, il revenait parfaitement guéri. Par le sorcier du lieu, sans aucun doute!  Un Ivoirien a expliqué  à Loulou qu'un ennemi de ce malade avait consulté un sorcier pour le faire mourir : celui-ci avait dû lui ordonner de porter constamment une ceinture et de la serrer chaque jour un petit peu; ce geste étoufferait progressivement la victime! Très étonnant, non? Heureusement qu'un autre sorcier a pu conjurer ces manigances.

Pour terminer cette série d'anecdotes touchant les soins médicaux, voici deux petites remarques. J'ai entendu la première à la télévision congolaise, dans une émission ayant pour but de  donner des conseils d'hygiène aux femmes de la brousse: " Avant  de couper le cordon ombilical du nouveau-né, n'oubliez pas de désinfecter le tesson de bouteille ou la lame de rasoir!".

 La deuxième m'a été annoncée par l'infirmier qui venait prendre la tension de Loulou, dans notre case, juste avant son rapatriement sanitaire. "5/3, Madame", m'a-t-il dit, l'air sombre. Pourtant, même Loulou étant très malade, était-ce possible? L'infirmier avait-il une ouïe aussi exceptionnelle? Bien sûr que non: beaucoup plus tard, notre médecin nous avait dit en plaisantant que c'était une tension de mort....

Je vais conclure par le cas d'un expatrié qui n'a pas été soigné du tout en Côte d'Ivoire et pour cause, malgré la gravité de son état. Le pauvre était passé dans un concasseur et en était ressorti  presque mort. Seule l'évacuation sanitaire immédiate pouvait lui sauver la vie! Il n'est pas mort et il est revenu prendre son poste. Un miracle!!

Toutes ces petites anecdotes ne sont ni des jugements ni des critiques. Elles racontent seulement toutes les surprises qu'elles m'ont procurées, tout ce que j'ai découvert au cours de nos expatriations et qui a transformé une fille de la ville en voyageuse passionnée, ayant  dans la tête à chaque changement de pays, cette question: " Cette fois-ci, qu' allons-nous vivre de surprenant?". 

 

Fabienne