Blanches et congolaises

 

 

Mongoumba-1924

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Blanches et Congolaises.

 

Nous habitions à M'Po, un camp en pleine brousse, à quelques heures de Brazzaville, de deux à vingt-quatre, suivant l'état de la piste....

Depuis plusieurs jours, Loulou n'arrivait pas à trouver de pommes de terre à acheter. Monsieur C........, un topographe, toujours un mouchoir noué aux quatre coins vissé sur la tête et lui seul apparent au-dessus des herbes à éléphants nous a dit qu'il connaissait un village où nous pourrions en trouver. Les Français du camp, comme tous les autres, les aimaient beaucoup et commençaient à se trouver en manque.

Loulou se décida donc un matin à aller essayer d'en acheter aux Congolais du village en question, espérant le localiser!

Pour trouver ce dernier, ce fut plutôt difficile et nous ne savions même pas si nous l’avions atteint. Nous avions suivi la piste indiquée par Monsieur C........ et nous nous sommes arrêtés dans plusieurs villages, sans aucun succès: nulle part il n'y avait de pommes de terre. 

Au dernier  arrêt avant de faire demi-tour, nous avons évidemment palabré, comme à chaque contact avec des Africains. Nous avons discuté de choses et d’autres comme d'habitude. Nous étions debout, près de la voiture, le chauffeur, quelques hommes, Loulou et moi. Cinq ou six mètres plus loin, des femmes s'étaient massées, bavardant et riant beaucoup. J'ai eu assez vite l'impression qu'elles n'arrêtaient pas de me regarder et que c'était moi qui les faisais rire...Pourquoi? Je pense avoir eu l'explication très peu de temps après.

Au bout de plusieurs dizaines de minutes de palabre entre hommes, j’ai progressivement vu les femmes se rapprocher de nous, toujours s'esclaffant, je dirais aujourd'hui écroulées de rire. La manœuvre s'est faite plutôt lentement, progressivement, d'un côté les femmes à petits .pas, très groupées, bavardant et riant s'approchant de nous et moi, les observant. J’avoue bien que je me demandais où elles allaient, ce qu'elles avaient l'intention de faire.

Finalement, le groupe s'est arrêté tout près de moi, toujours bavardant et riant. Là, après quelques instants d'attente, une Congolaise très timidement a osé me toucher, toute souriante, ici, puis ailleurs; une autre l'a imitée et une autre et une autre. Je ne bougeais pas tellement j'étais stupéfaite, attendant la suite... La première Congolaise devait être plutôt moine timide que les autres pour me toucher!

Ensuite, chacune a progressivement fait ce qu'elle a eu envie: me toucher ici et là, soulever ma robe, tâter mes cheveux, écarter très discrètement mon décolleté....Toujours en riant, parfois aux éclats, et en discutant frénétiquement. J'ai forcément déduit de cette scène que, si je n'étais pas la toute première femme blanche qu'elles voyaient, j'étais certainement une des premières. Situation très bizarre, me semblant plutôt hors du temps! Elles n'avaient sûrement jamais côtoyé ou touché une Blanche... 

Un événement tout à fait exceptionnel pour elles? Peut-être, mais surtout pour moi! Inoubliable. 

Voici la drôle de chute de cette anecdote. Nous n'avons pas rapporté de pommes de terre de ce village, mais nous avons trouvé, sur la plage arrière de la voiture....trois œufs. Les Africains remercient toujours à la mesure de leurs moyens. En brousse, seuls les œufs sont un petit peu nombreux, et une visite, une conversation, méritent un cadeau, aussi modeste soit-il.

Merveilleuse histoire vécue.

Fabienne

 

Les forgerons ivoiriens

 

01 Forgeron 20

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Les forgerons ivoiriens

 

Notre retour en France était programmé. Nous allions quitter la Côte d'Ivoire définitivement après un séjour de deux ans et, finalement, nous connaissions très peu ce pays. Loulou a donc demandé à sa direction de partir deux semaines pour visiter un peu le nord avec moi.  Ce qui lui a été accordé.

Lorsque nous sommes arrivés dans la région des forgerons, je pense me rappeler que c'était assez près du village de Korhogo. Un petit garçon s'est proposé de nous guider pour nous montrer l'essentiel de son village. Nous marchions vers la mine et, juste avant d'arriver près de l'entrée d'un puits, Loulou s'est mis à siffloter. Immédiatement, notre petit guide s'est retourné comme piqué par une guêpe... Il a mis un doigt sur la bouche et a dit qu'il ne fallait ni siffler ni parler près des puits car c'était irrévérencieux pour les dieux de la mine. Ceux-ci seraient très en colère d'entendre du bruit; il ne fallait donc pas en faire pour les respecter...

Nous avons donc essayé de nous faire très discrets.

Par contre, le garçon nous a tout de même expliqué comment les mineurs travaillaient, mais à voix basse. L'entrée du puits, il y en a plusieurs dans un très petit périmètre, est vraiment exigüe: un trou à peu près rond dans le sol qui est l'accès d'une cheminée d'environ un mètre de diamètre. J'ai oublié la profondeur pour atteindre le minerai de fer, mais elle n'était pas très importante, heureusement: en effet, le mineur descend au fond muni d'un panier pour remonter le minerai. Le système de descente et de montée est très rudimentaire: il y a de simples creux dans la paroi de la cheminée, alignés verticalement mais décalés horizontalement pour permettre au mineur de descendre ou de monter le long de la paroi comme si c'était une échelle...mais assez peu pratique puisqu'il se déplace les pieds écartés de chaque côté du puits.

Après ce cours très intéressant sur les "mines" de fer et les mineurs, notre petit guide nous a amenés à la forge du village.

C'était un très grand papo, l'équivalent d'une paillote, constitué de piliers de bois soutenant un grand toit conique de palmes justement appelées papo. Dessous se trouvaient deux forgerons au travail. L'un actionnait deux outres de peau de bête, (de chèvre je crois me rappeler), avec ses mains pour apporter de l'air au foyer grâce à un tuyau partant des deux outres et allant jusqu'aux braises. Le feu activé avait exactement  la même fonction que celui d'une forge de France: le deuxième forgeron a profité de notre présence pour exercer son art.

Mais pendant cette visite de la forge, il s'est passé un événement inexplicable. A l'entrée du papo, un Ivoirien nous a offert des arachides que j'ai acceptées comme il se doit, mais pas Loulou car l'un des deux, c'est suffisant. Ce que j'ai écrit, la forge elle-même,  le papo, le travail des forgerons, je l'ai bien vu; par contre, je me suis "réveillée" d'un seul coup, ou plutôt, j'ai repris conscience quelques minutes  après avoir vécu littéralement un "blanc" de quelques minutes en restant debout. Comme je fixais bien sûr le feu juste avant de perdre conscience, Loulou et moi, nous avons supposé que je m'étais hypnotisée moi-même. Bizarre, non? La seconde explication, c'est que les arachides étaient droguées.

Ne croit-on pas en Côte d'Ivoire, mais aussi dans toute l'Afrique noire, que les forgerons  ont des pouvoirs surnaturels, qu'il faut les craindre.

En fait, ils sont craints comme des sorciers....

 

Fabienne

 

Le "dentiste"

 

 

Ain-el-Turc Saint-Roch-Trouville-Bouisseville

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Le "dentiste"

 

C'était la première fois que je vivais en Algérie, contrairement à Loulou, qui avait connu ce pays bien avant, pendant les "événements", autrement dit la guerre. J’étais contente de repartir à l'étranger, après être revenue au pays depuis cinq ans. Madagascar et ma deuxième expatriation étaient toujours très présentes dans ma mémoire. J’attendais beaucoup de cette nouvelle expérience car l'Algérie représentait une légende de famille. Un peu le "bouche à oreille" traditionnel, c'est à dire que j'avais toujours entendu dire que nous "descendions" des Arabes. Pourquoi pas?

Nous avions tout d'abord habité une jolie villa, dans un gros village près d’Oran. Dommage! Cette maison était horriblement humide et elle ne possédait pas de système de chauffage. Nous nous réchauffions d'une manière très rudimentaire:une boîte remplie de sable arrosé d'alcool à brûler faisait l'affaire;une allumette enflammée et le tour était joué. Mais c'est vrai qu'à l'époque des fêtes de fin d'année, il faisait très froid en Afrique du Nord. Du moins, cette année-là.

Le deuxième défaut de cette villa, c'est que l'arrière donnait sur un jardin où vivaient des dindons. Connaissez-vous les cris, je devrais peut-être dire les "glouglous" de ces gallinacés? Extrêmement stridents, un peu dérangeants, surtout le matin de bonne heure...Malgré tout, j'ai passé de bons moments dans cette maison, surtout parce que je rejoignais Loulou après une séparation trop longue.

Nous avons ensuite déménagé pour habiter dans une petite ville balnéaire appelée Aïn el Turck, nom signifiant l'Œil du Turc, parce que j'étais nommée au collège de ce lieu et logée.

Le bord de la mer était superbement aménagé, ou du moins orné de très belles villas datant de la colonisation, hélas très mal entretenues. Les mosaïques qui restaient étaient magnifiques. Elles devaient être somptueuses à l'origine. Les plages s'étalaient sur des centaines de mètres, toutes plus blanches les unes que les autres. Le village par lui-même n'avait rien de remarquable, sinon une odeur très prenante de jasmin, qui flottait dans l'air presque en permanence. Cette plante ornait une multitude de jardins. J'empruntais souvent  la rue principale pour aller de la maison au quartier central où se trouvaient boucherie, boulangerie et diverses boutiques. Un matin, je revenais de faire les courses et je remontais vers la maison lorsque j'ai aperçu un vague groupe de personnes agglutinées. De loin, je ne distinguais pas ce que ces gens pouvaient faire et surtout pourquoi ils étaient là.

C'était très inhabituel de voir un tel attroupement dans cette rue. Au fur et à mesure que je progressais, j'essayais de comprendre à quoi correspondait la scène mais je n'y parvenais pas.Il a fallu que je sois vraiment très près pour enfin réaliser. Réaliser ce que j'ai aussitôt considéré comme une horreur! La scène était assez terrifiante. Plusieurs hommes -que des hommes! - étaient assis par terre sur le trottoir. L'un d'entre eux semblait maintenu par un autre, debout derrière lui. Devant se tenait un troisième personnage, armé d'une sorte de tenaille. Le temps que je passe en ralentissant le pas exprès pour bien observer, j'ai pu voir la tenaille rentrer dans la bouche du "patient", s'y accrocher et, le temps d'une torsion vigoureuse du poignet, ressortir avec à son extrémité un objet: une dent bien sûr, toute sanguinolente, aussitôt jetée sur le trottoir. A peine un sursaut du pauvre "opéré" tout teinté de rouge et le "dentiste" passait à un autre patient. Je n'ai pas osé m'attarder mais j'ai eu le temps de repérer le trottoir constellé de taches de sang et jonché de dents. C'était une horreur. Mon praticien peu banal avait sans doute officié longtemps compte- tenu des traces de son passage par terre. Peut-être ne venait-il que très rarement.

J'aurais pu intituler cette anecdote" l'arracheur de dents".

Fabienne

 

 

La frêle Fabienne contre le "colonel Stallone"

 

 

Denis Sassou Nguesso 2014

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La frêle Fabienne contre le colonel "Stallone".

 

Le grand événement de ce mois-là était l'inauguration du tronçon de la route N'Go-M'Po en pleine brousse, avec la présence du président de la république congolaise, Denis Sessou N'Guesso.

Il faut noter qu'organiser un tel événement en brousse et avec la présence  de la plus haute autorité d'un pays sous- entend deux difficultés: le côté ravitaillement (surtout ne rien oublier: ce serait irréparable), le côté politique (l'infrastructure chargée de la sécurité du président et de ses accompagnateurs). Les deux aspects concernaient Loulou.

Je passe sur tout ce qui a précédé ce jour-là: le choix du bâtiment (un ancien local à tabac), l'obligation de repérer comment équiper une cuisine et la salle du banquet (groupe électrogène pour fournir l'électricité, trois cuisinières au moins pour cuisiner les repas, des réfrigérateurs, des "tonnes" d'eau en bidons, la vaisselle et les plats, les tables dont certaines étaient des pupitres très anciens avec le double abattant en pente -des antiquités- , le repas lui-même pour trois cents plats froids et cinquante deux chauds pour le "gratin". (Je viens de rire, car la mémoire de Loulou me sidère...). Mais aussi des nappes, des fleurs pour la décoration et j'en oublie...

Ce matin-là donc, nous voilà partis, Loulou et moi, avec la voiture, précédée par le camion transportant le groupe électrogène, un autre pour l'eau et enfin suivie par le camion-réfrigérateur contenant les repas et les boissons.

Arrivés au hangar à tabac, il a fallu vérifier l'installation des cuisinières électriques et du groupe électrogène, des tables pour les invités (les fameux pupitres pour certains), et de la table présidentielle. A chaque fois que nous passions par la cuisine improvisée, nous étions vraiment incommodés par une odeur pestilentielle, mais tout à fait indéfinissable. Nous apprendrions plus tard, comment?, j'ai oublié, que le local était infesté de chauves-souris à l'origine, qu'il en avait été débarrassé avant la réception; mais le fait était là: l'odeur était insupportable et elle nous incommoderait jusqu'à la fin de cet événement.

Je ne me rappelle évidemment pas de tout ce qui s'est passé ce jour-là, mais j'ai le souvenir précis de quelques épisodes. Tout d'abord, l'attente qu'il a fallu supporter, à cause du chef du protocole qui ne voulait jamais que nous rentrions dans la salle " officielle" pour préparer la table réservée au président de la république, à ses proches, au consul de France et aux directeurs des entreprises françaises qui confectionnaient la route dont le tronçon était inauguré ce jour-là. A force d'attendre, le moment d'intervenir est enfin arrivé: le chef du protocole nous a fait un signe très officiel pour entrer. J'ai pu mettre les nappes, dresser le couvert et enfin, décorer le tout d'un superbe chemin de table en fleurs fraîches. De beaux bouquets m'ont permis d'ajouter la touche finale à l'ensemble. Il était temps: midi avait sonné!

Beaucoup de militaires avaient déjà pris place, aussi bien dans la salle de réception que tout autour du bâtiment, surtout près des portes et des fenêtres, enfin, aux ouvertures qui en faisaient office, mais sans battant ni volet.

Tout était déjà prêt en cuisine, les plats froids dressés joliment, les plats chauds mijotant sur les cuisinières et surveillés par André et Félix.

Nous avons été avertis par une rumeur que le président et sa suite arrivaient. J'ai eu le temps de me précipiter pour l'apercevoir, arrivant à pied, dans l'ouverture de la porte. Vous vous rendez compte? Un président de la république en chair et en os....Impressionnant, très martial, en uniforme de camouflage comme ceux qui étaient de garde.

En théorie, un apéritif était prévu pour lui, les autorités congolaises qui l'accompagnaient et les directeurs des entreprises françaises, précédant le repas. Mais il a lui-même supprimé la pause- apéritif en demandant tout de suite le déjeuner. Ce qui fut fait.

Loulou et moi étions bien sûr en cuisine, le côté réception étant supervisé par des serveurs  du consulat de France. Il fallait donc faire passer les plats d'une pièce à l'autre par la porte de communication, en sachant qu'une deuxième porte donnait directement dehors, là où était toute l'infrastructure intendance. C'est par là qu'est arrivé le danger. Plusieurs militaires sont arrivés, sont entrés, ont inspecté, sont repartis avec des petites denrées. Nous avons simplement dit qu'il ne fallait toucher à rien, sans plus, les petits chapardages étant discrets.

Mais peu de temps après, je me suis retournée juste au moment où un militaire tout galonné s'emparait d'un superbe plateau argenté tout garni de belles victuailles. Le  militaire, près de deux mètres, sans doute cent kilogrammes, me dépassait bien de deux têtes. Malgré la différence énorme, mon sang n'a fait qu'un tour et je me suis précipitée, moi, petite mouche à côté du grand ours, pour saisir le plateau comme je pouvais, sans réfléchir naturellement. 

Tu tires dans un sens, moi de l'autre... et ...nous recommençons. Mais assez délicatement sans doute par peur de renverser notre bien. Il m'intime l'ordre de lâcher, je lui réponds que ce n'est pas à lui, il me rétorque...je ne sais plus quoi, et, enfin, j'ai l'illumination lorsque je lui dis:" N'avez-vous pas honte de vouloir voler ce qui est destiné à votre président de la république?" C'était la bonne clef pour la bonne serrure! D'un seul coup, il se fige.... littéralement...se redresse... et me laisse le plat dans les mains. J'avais gagné avec cet argument contre le "colonel Stallone" !!!

Malgré tout, à la suite de cet incident, il a fallu que Loulou réclame une garde de militaire à la porte de la cuisine pour être tranquilles.

La journée s'est poursuivie par la fin du repas, l'envahissement de la salle de réception par des enfants du village qui repartaient avec les nappes nouées autour des reliefs des repas (nous en avons sauvés un peu), le remplissage du camion-réfrigérateur à toute allure de tout ce qui restait pour empêcher le pillage. Juste avant de repartir pour le camp, Paul R…., le directeur de la société française, a félicité Loulou et lui a demandé de prévoir une soirée spéciale au camp pour tous les expatriés avec les moyens du bord," si vous pouvez, Monsieur G……!..." 

Cette journée déjà bien remplie, s'est terminée à M'Po, après la réception très réussie organisée par Loulou...

Fabienne

 

 

l'anniversaire du sous-préfet

 

 

extrait du livre "Afrique mystérieuse" textes et photos de Gianni Giansanti

 

 

L'anniversaire du sous-préfet.

Aujourd'hui, je vais à nouveau parler de M'Po, au Congo. Non pas de M'Po-camp mais de M'Po- village. J'ai déjà évoqué plusieurs fois notre séjour dans un "trou" de la forêt. Peut-être ai-je déjà dit pourquoi j'emploie toujours ce terme: la première fois que j'ai eu l'occasion de voir Buyo-camp d'avion, j'ai été stupéfaite. Nous survolions la forêt tropicale, extraordinairement dense, dans un petit appareil de cinq places je crois, lorsque peu à peu, j'ai senti que nous perdions de l'altitude. Moi, si craintive, je commençais à paniquer car je ne voyais que des arbres, des arbres à perte de vue. Puis, mais vraiment subitement, j'ai vu une trace rectangulaire rouge, couleur de latérite; donc bien sûr déboisée, sculptée à travers les arbres, prolongée d'une aire ronde: c'était la piste d'atterrissage!!! Oh! Non! Nous ne pourrions jamais nous poser là...

Quelques minutes plus tard, l'avion tanguait fortement, moi cramponnée à mort parce que j'avais peur, nous avons enfin touché terre. Quel soulagement! C'était en Côte d'Ivoire.

J'ai toujours supposé  que le camp-base de M'Po, lieu où nous vivions, devait aussi ressembler à un 'trou"  découpé dans la forêt vu d'avion. C'était au Congo, à la hauteur de l'équateur. Sur le chantier, la société qui employait Loulou, construisait une route goudronnée reliant N'Go à Djambala, M'Po étant situé à peu près au milieu. Fatalement, il fallait traverser ou contourner des villages de brousse ainsi que leurs cimetières. Ces derniers étant sacrés pour les Congolais, Loulou devait fréquemment consulter les autorités villageoises, également pour des problèmes administratifs. Il était donc amené à voir des fonctionnaires divers et en particulier le sous- préfet de M'Po, René N'G…... Par contre- coup, car la femme du chef de camp est presque automatiquement son adjointe, j'ai été amenée à le connaître aussi.

Lorsqu'il venait au camp, Loulou l'amenait à la maison car il pensait que la présence d'une femme rendait l'entrevue plus agréable. Ce René N'G….. était bien sympathique, d'une correction digne du siècle dernier, je devrais dire trop correct, pour un européen  par exemple. Il me donnait l'impression, lorsqu'il me saluait, lorsqu'il me parlait, que j'étais une reine et lui, mon valet. Il me faisait toujours le baisemain! Sensation étonnante. Plusieurs fois, j'ai également vu une de ses trois femmes, ou lorsque nous venions voir son mari, ou lorsqu' elle accompagnait celui-ci au camp. Cette petite Anne était adorable... Et très malheureuse car René avait pris récemment sa troisième femme: avec ses quatre ou cinq enfants, son âge, vingt-trois ans et sa beauté; elle se sentait complètement abandonnée. Je lui servais d'exutoire. Un jour, elle m'a demandé de lui donner un bracelet en ivoire que je portais ce jour-là avec deux autres. J'ai eu beau lui dire que c'étaient ceux que j'avais achetés pour mes sœurs, elle a tellement insisté que j'ai fini par lui en donner un. Ses sourires, ses remerciements et ses mines de petite fille ravie m'ont bien récompensée. Loulou en entendra parler plus tard par René N'G…..  ...

Peu de temps après, un soir, Loulou m'a prévenue que nous étions invités à M'Po-village: le sous- préfet nous conviait pour son anniversaire! Nous sommes arrivés peut-être vers cinq heures et notre hôte nous a accueillis sur la piste à l'entrée du village; après les salutations traditionnelles, il m'a tendu un cadeau très surprenant: un trophée d'antilope-cheval, formé d'un petit morceau d'os du front, portant une magnifique paire de cornes! J'étais toute confuse car je considérais ce présent comme magnifique, trop beau pour moi. Mais la raison... ? C'est parce que j'étais gentille avec Anne ... 

René N'G….. nous a guidés vers une case devant laquelle étaient disposées quelques tables et des chaises. Une personne était assise et nous avons appris que c’était le propre père du sous-préfet quand il nous l'a présenté solennellement. Il était immense, très mince et extrêmement affable. Nous avons dû nous asseoir à sa table et on nous a proposé une boisson: bière, coca ou soda. Pendant ce temps, des gens sont arrivés sur la place qui se trouvait devant les cases et s'y sont massés. Nous entendions le brouhaha de leurs paroles; par contre, nous n'avons engagé aucune conversation avec le père du sous-préfet. La nuit tombait rapidement, comme toujours à l'équateur. Peu à peu, nous avons vu, à peine à cinq mètres de nous, la petite troupe arriver sur la place, s'organiser en quelque sorte, suivant certainement un rituel bien précis, se mettre à "danser" et à psalmodier. Danser est sûrement le mot qu’il faut utiliser, enfin, peut-être. Mais j'emploie le mot rituel dans son sens étymologique. L'ensemble de la "troupe" donnait tout à fait l'impression de suivre des règles très strictes, comme un ballet, même si, pour nous Français, il n'y avait aucun rapport avec une danse. Mais en même temps, tous ces danseurs «  chantaient». JE mets beaucoup de guillemets car tout était trop différent de ce que les mots que j'emploie signifient pour nous. Tous ces danseurs chantaient "Ta ta ta on on, pa pa pa on on" scandé par les pas de danse, pendant quelques minutes. Puis, peu à peu, pendant que la nuit arrivait, nous avons fini par comprendre, à peu près "Ta ta ta N'G…... Pa pa pa N'G….." de plus en plus lancinant...  tellement lancinant pour moi, tellement impressionnable, que je me suis sentie peu à peu effrayée, comme attendant un événement terrible. Loulou et moi, seuls Blancs dans ce petit lieu de brousse, la nuit venue, parmi tous ces Congolais participant à un rituel, c'était impressionnant pour moi. Enfin, nous avons pu nous retirer de cette cérémonie, avec soulagement pour Fabienne...

Mais après, et maintenant, quel plaisir d'avoir eu le privilège de vivre une cérémonie aussi exceptionnelle pour des Français.

 

Fabienne

 

Le famadihana

 

 

Famadihana reburial razana ancestor Madagascar

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Le famadihana.

J'ai déjà eu l'occasion de parler de notre séjour à Diego-Suarez, à propos des animaux que j'ai trouvés extraordinaires, mais aussi des paysages et des deux cases que nous avons habitées. Pour que je puisse venir le rejoindre, Loulou devait obligatoirement trouver un logement et, à cette époque, c'était extrêmement difficile. Voyant le temps passer et ne vivant que quinze jours à quai contre quarante cinq jours en mer, il a saisi le premier appartement décent. Tout n'y était pas parfait: j'ai déjà parlé des énormes cafards qui se baladaient dans "la cuisine" qui n'était qu'un simple appentis en paille, tout à fait contiguë à la cour des deux voisins. Une simple armoire séparait notre appartement du leur: elle "bouchait" tant bien que mal une ouverture dans le mur mitoyen! Question intimité, c'était vraiment merveilleux! Parlons de folklore! 

Plus tard, nous avons pu déménager pour habiter à la périphérie de Diego, à la limite de ce que tout le monde appelait Tananbo (orthographe phonétique), mot voulant dire "ville nouvelle", comme nous l'avons appris des années plus tard par une Malgache de Bretagne!!

Ce deuxième logement consistait en une case «en dur», ce qui améliorait un tout petit peu notre confort par rapport au premier. Mais elle était tout de même conçue à la malgache, évidemment.  Ce qui impliquait les particularités suivantes: ni porte, ni fenêtre véritable, mais de simples ouvertures munies de volets en bois, jamais fermés à cause de la lumière. Une bizarrerie extrême, c'est que, tout de même, la porte de la chambre, ouvrant directement sur la cour, possédait des volets grillagés... contre  les moustiques bien sûr. Mais il faut savoir que toutes les pièces communiquant entre elles, le grillage était parfaitement inutile. Quant à la cuisine et à la salle de bains, à peine quatre mètres carrés chacune, ces pièces n'avaient rien à voir avec la réalité française. Elles étaient séparées de la maison, à quelques mètres dans la cour. Cafards, araignées monstrueuses, termites et gros scorpions cohabitaient avec nous. Scorpions à cause de notre voisin qui était marchand de bois. 

J'arrive au famadihana (prononcer famadine). C'est une cérémonie tout à fait exceptionnelle, car d'après mes sources, ne revenant que tout les deux ans. A notre époque, je pense que ce que j'ai vu est encore plus extraordinaire car observé en ville. Un jour donc, j'ai perçu une musique rythmée de tambours et ponctuée de chants, que je n'avais jamais entendue. Elle venait nettement de derrière la maison. De ce côté-là, il n'y avait qu'une toute petite ouverture rectangulaire en haut du mur et nous savions qu'elle était si élevée car il n'y avait pas le droit pour nous de regarder chez nos voisins.

J'ai grimpé sur une chaise et j'ai observé. La musique durait depuis des heures et j'avais un très bon regard sur la cour de la maison. Très grande, la cour, et certainement pleine de monde qui semblait vaquer.., car leur déplacement ne paraissait pas structuré. Mais ce n'était qu'apparence car le tout était extrêmement programmé.

Le soir, Loulou et moi, juchés sur des chaises, nous avons assisté à un "spectacle" auquel nous n'avons rien compris. Les gens tournaient autour d'une sorte d'autel, suivant des hommes qui portaient une charge enveloppé de lamba (tissu en malgache), toujours au son des chants, des instruments de musique et dansant plus ou moins. Je dis plus ou moins car, pour moi, cela ne ressemblait pas à une vraie danse, à notre sens à nous, Européens, mais ce n'était pas non plus de la marche normale.

Quand avons-nous su à quoi correspondait cette cérémonie extrêmement bizarre? Je ne le sais pas. Mais nous pensons bien que c'était un famadihana. Ce qui se traduit en français par l'expression retournement des morts. 

Par moment, tout le monde s'arrêtait sauf le groupe portant la charge. Celui-ci dansait sur place, puis se déplaçait d'un côté  puis de l'autre, repartait et tout le reste de la foule reprenait sa danse. Toutes ces figures ont duré très longtemps. Longtemps aussi, la musique, plusieurs heures dans la nuit...

Voilà ce que nous avons appris au hasard des années passant. La famille malgache retire  les corps de la tombe. Celle-ci est une simple fosse remplie de pierres. Les restes du mort sont  entourés de plusieurs épaisseurs de lamba, le tout emballé de nattes. Les membres de la famille du défunt, après avoir extrait celui-ci de la tombe, retirent toutes les nattes, toutes les épaisseurs de lamba entourant le mort pour les remplacer par des pièces neuves. Très soigneusement. Pour les familles riches, le lamba est fait de soie naturelle. Le rituel est très ancien et très strict. C'est une cérémonie religieuse qui coûte très cher car il est obligatoire d’inviter beaucoup de gens et après le rituel, c'est une très grande fête qui suit, avec nourriture et alcool à gogo. Personne parmi les proches n'a le droit de pleurer: ce serait un déshonneur! Quelle horreur!

Pour nos lecteurs intéressés, ce que nous avons vu correspond en partie à ce que nous avons appris au hasard des émissions de radio et de télévision et surtout à ce que j'ai lu depuis: le livre de Nicole Viloteau intitulé " Les sorciers de la pleine lune", où est décrit minutieusement un famadihana. Elle dit que c'est exceptionnel pour un vazaha (prononcer vasa, ce qui veut dire blanc en malgache) de voir un tel spectacle religieux.

C'est dommage qu'à l'époque, nous n'ayons eu aucune idée de ce à quoi nous assistions ; sinon, j'aurais observé continuellement ce qui se passait chez mes voisins, pendant tout le temps qu'il faisait jour...Les Malgaches impliqués étaient certainement animistes.

Cette cérémonie surréaliste pour des gens comme nous, Loulou et moi, a été totalement incompréhensible. Mais je me suis toujours sentie très favorisée d'y avoir assisté.

 

Fabienne

 

 

Histoire de toile

 

 

Korhogo

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Histoire de toile.

Après deux ans passés en brousse, en Côte d'Ivoire, il fallait partir définitivement. Hélas! La mission de Loulou était terminée; il devait donc recommencer ailleurs. Heureusement, notre expatriation n'était pas terminée... Quelque temps avant notre départ pour l'Algérie, Loulou a demandé à son directeur la permission de faire un voyage pour visiter un peu le pays. En effet, après un séjour de deux ans au camp de Buyo, nous ne connaissions rien de la Côte d'Ivoire, ou presque, à cause des fonctions de Loulou qui l'accaparaient presque en permanence et parce que le pays est suffisamment grand pour qu'un seul but nécessite plusieurs jours d'absence. 

A ce moment, nous ne connaissions que San Pedro, une ville du sud, au bord de la mer, où nous nous étions baignés quelques fois, une autre, au nord de Buyo, appelée Man, où se trouvaient deux curiosités: une bambouseraie extraordinaire et un pont de lianes rempli de mystères, les petits villages aux alentours de Buyo et, enfin, Abidjan. Mais cette capitale, je ne peux pas dire que je la connais car j'y avais atterri à mon arrivée et nous n'avions pu y faire qu'une petite incursion de quelques heures. Je préfère dire que j'ai effleuré Abidjan. J'ai le souvenir de certains quartiers, le plus central et le plus "européen" appelé le Plateau, avec des boutiques aussi belles qu'aux Champs Elysées, un autre, très ivoirien, Treichville, très excentrique et populeux, enfin une vue sublime sur la lagune et les ponts immenses qui l'enjambent en partie, dans un petit avion volant très bas. C'est déjà bien, penseront certains! Oui, mais tout de même, en deux ans, on peut faire des excursions!.. Théoriquement.

Le voyage demandé par Loulou a, non seulement été accepté par son directeur, mais en plus nous avons été dotés d'une voiture climatisée, accompagnée de bons d'essence pour un périple de huit jours. Byzance! Notre trajet était forcément bien préparé à l'avance, à cause des routes difficiles bien souvent: les spécialistes nous avaient conseillé l'itinéraire, les points de chute et les lieux à voir absolument. L’essentiel se passait dans le centre et dans le nord du pays. Nous avons vu quelques curiosités dont la plus étonnante était un barrage: c'était d'autant plus brûlant pour nous que notre société en construisait un à Buyo! Pourquoi était-il exceptionnel? Parce que les ingénieurs, spécialistes et autres scientifiques qui l'avaient conçu avaient tout prévu. Tout!...Sauf qu'il n'y aurait pas une goutte d'eau dedans. Oh! Si! Peut-être une ou deux mais hélas, pas suffisamment pour amortir les millions de francs dépensés.

Je passerai très vite sur le village des forgerons, quoique ces gens soient très intéressants car réputés pour être des sorciers croient les autochtones, ainsi que la cathédrale de Yamoussoukro, ville du président, je devrais dire village de brousse à l'époque: monument démentiel magnifique, avec dômes doré à l'or vrai, mais complètement incongrus en ce lieu...

Par contre, je m'attarderai sur la ville de Korhogo, que je devrais appeler aussi village. C'était une étape importante de notre périple grâce à ce que nous avions appris et nous avions hâte de voir si réellement c'était une curiosité telle qu'on nous l'avait décrite. Nous n'avons pas été déçus! Au contraire. Nous savions que cette agglomération était réputée surtout pour ses toiles: tout le monde parlait des toiles de Korhogo. Il suffisait de rester sur le lieu, le temps de voir la transformation d'un simple fil en œuvre d'art, pour tout comprendre. Quelques petites heures; je suis bien incapable de raconter dans l'ordre ce que nous avons observé. Par contre, je peux décrire la fabrication de la sœur de la toile qui orne le plafond de notre salon.  Au début, le fil, que nous avons vu sortir des mains d'une Ivoirienne assise dans sa case, est fourni au tisserand. Celui-ci réunit plusieurs brins de même dimension en un très long ruban de peut-être dix mètres, allant du métier à tisser à l'extrémité des fils attachés et lestés d'une grosse pierre, bien loin devant l'artisan, sans doute pour maintenir tendu tout l'ensemble. Le reste est une question de technique, très rudimentaire mais classique. Le métier à tisser est en bois et il est très étroit: il produit des bandes de tissu d'une vingtaine de centimètres de large. C'est évidemment le tisserand qui l'actionne avec ses mains et ses pieds. très lentement, Au fur et à mesure que le lé se forme en bas du métier à tisser, la pierre qui leste les fils se rapproche progressivement, laissant une traînée sur la terre. Les bandes  de tissu sont couleur écrue. 

L'étape suivante est l'affaire de celles que je vais appeler les couturières. Sur une autre place du village, des Ivoiriennes assemblent les lés en les cousant entre eux de façon à obtenir de grandes surfaces, exploitables ensuite pour faire les différentes toiles, spécialité du village.

L'avant-dernière intervention est remarquable de part le côté artistique, mais aussi parce que les artistes utilisent des peintures peu banales pour nous, mais extrêmement ancestrales pour eux. Nous n'avons vu peindre que des hommes. C'est cette opération qui termine presque l'élaboration de ces chefs-d’œuvre. La toile est étendue par terre* et l'Ivoirien peint accroupi. Nous avons appris que les couleurs sont fabriquées avec des matières naturelles: essentiellement végétales et excréments divers...Les tons sont assez neutres, allant surtout du beige très clair à différentes nuances de marron. Les dessins représentent des animaux très stylisés, cernés d'un trait noir. Sur la nôtre, sont peints des poissons, des tigres, des oiseaux, tous extrêmement bizarres, séparés par des lignes géométriques. L'ensemble est cerné d'un cadre de peinture marron très foncé limité par un trait noir. Toutes les lignes «droites » ne le sont pas car tracées à la main. 

J'arrive enfin à la dernière étape: celle du séchage. Les toiles qui en sont à ce stade sont suspendues autour des cases du village. Il faut savoir que ces cases sont rondes et c'est à cause de cette particularité que nous avons bien failli garder cette merveille, bien roulée et bien pliée au fond d'une malle. En effet, à la fin de la visite, nous étions décidés à en acheter une et nous avons observé toutes celles qui étaient en fin de séchage, donc prêtes à être vendues. Nous avons fait notre choix, payé notre acquisition puis continué notre voyage.

A notre retour d'Irak, la maison étant terminée, il fallait la rendre habitable et la décorer. Nous avons donc fait un tour du côté de nos nombreuses cantines. Lorsque celle qui contenait notre toile de Korhogo fut ouverte, une odeur pestilentielle en sortit: à cause des composants des peintures, avons- nous pensé! Tant pis! Nous pensions bien l'utiliser quand même...Nous l'avons descendue aussitôt dans le salon et c'est là que l'absurde est intervenu: nous comptions l'exposer sur un mur pour le décorer et aucun n'a pu la recevoir car tous étaient trop petits! Incroyable mais vrai. Le fait qu'elle était étalée sur le mur cylindrique d'une case nous avait empêchés d'évaluer ses dimensions. Heureusement, notre salon étant très grand, si les murs ne pouvaient être utilisés....le plafond, lui, l'accepterait. L'éclairage supprimé, elle a pu être fixée. Ouf! Elle ne resterait pas dans un placard.

Pour terminer, je ne m'étendrai pas sur l'odeur que j'ai dû subir jusqu'à mon départ pour le Congo. Loulou, lui, n'en a pas souffert: il était déjà parti. Et à notre retour, un an après, elle avait disparu. L'odeur, pas notre belle toile.

*Par honnêteté, je précise que Loulou pense que, lorsqu'un Ivoirien la peignait, la toile était accrochée au mur d'une case, donc tendue verticalement. Chacun ses souvenirs...

 

Fabienne