Dis-moi dix mots 2016

 

Comme chaque année, notre première consigne est en rapport avec la semaine de la langue française.

 Les dix mots choisis nous invitent à partir à la découverte du français parlé dans les différents territoires de la Francophonie :

Chafouin/ine (France) : nom -> Personne qui a une mine sournoise, rusée : Un chafouin, une chafouine.

Adj. -> rusé, sournois : air chafouin, mine chafouine.

Champagné (Congo) : n.m. -> Personne d’influence aux nombreuses relations.

Dépanneur (Québec) : n.m. -> Petit commerce, aux heures d’ouverture étendues, où l’on vend des aliments et une gamme d’articles de consommation courante.

Dracher (Belgique) : verbe -> pleuvoir à verse. Il drache depuis le matin : il tombe une pluie battante.

Fada (France, régional) : n.m -> simple d’esprit, fou. Adj -> un peu fou, cinglé.

Lumerotte (Belgique) : n.f. -> 1) source de lumière de faible intensité : mettre une lumerotte dans la chambre du bébé / je n’arrive pas à lire avec cette lumerotte 2) légume (betterave, citrouille…) évidé et percé de petites ouvertures, dans lequel on place une source lumineuse : faire des lumerottes pour Halloween (lumignons).

Poudrerie (Québec) : n.f. -> Neige poussée par le vent pendant qu’elle tombe / Neige déjà au sol qui est soulevée et poussée par le vent.

Ristrette (Suisse) : n.m. -> Petit café très fort fait à la vapeur au percolateur : boire un ristrette au bar à café.

Tap-tap (Haïti) : n.m. -> En Haïti, camionnette servant au transport en commun dont la carrosserie s’orne de peintures naïves représentant des scènes de la vie quotidienne.

Vigousse (Suisse) : adj -> vigoureux, vif, alerte (personne) / vigoureux, fort, robuste, résistant (animal, plante).

 

En 25 minutes, utiliser le plus possible de ces mots pour un texte commençant par

" En Avril, ne te découvre pas d'un fil"

et se déroulant dans un des pays francophones cités.

 

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En Avril

 

« En Avril ne te découvre pas d’un fil » me dit mon voisin belge à la descente d’avion sur le sol canadien. Que veut-il celui-là avec son air chafouin, je ne lui ai rien demandé !

 

Il redit sa formule magique d’entrée en matière à la jeune femme qui me précède et qui lui décoche un regard noir sans répondre. Il doit être un peu fada me dis-je. Le couloir d’accès à l’aérogare est interminable. Enfin, voici le hall fourmillant d’égarés à la recherche de famille ou d’amis. J’y découvre mes cousins, Céline et René, sachant toujours accueillir les bras ouverts. La poudrerie nous rentre dans les os me disent-ils. On te prévient, rien ne marche à part les tap-taps de quelques exilés d’Haïti. On va boire un petit ristrette bien fumant pour nous réchauffer, nos amis suisses nous attendent à la cafétéria, on pourra y avaler une petite craquette, dit René. Le voyage a été super-long et je suis ankylosée. Pourtant, le remplacement du taxi par un tap-tap me séduit, même par ce temps-là. Le conducteur vigousse au teint café au lait, joyeux comme un pinson, n’engendre pas la mélancolie. Nous nous arrêtons cinq minutes chez un dépanneur pour acquérir quelques victuailles et les cartes postales rituelles pour envoyer aux amis. Ça sera ça de fait pour les faire un peu baver. Une lumerotte ballotée par le vent signale ce petit commerce aux entrailles sympas. Une caverne d’Ali-baba : de tout et n’importe quoi, effectivement de quoi dépanner. Dépêchons-nous me dit Céline, il va dracher, nous devons passer chez un ami, conseiller municipal, c’est un champagné qui va nous aider à parfaire ton séjour.

 

Mouty

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En avril ne te découvre pas d’un fil, Catherine n’avait pas oublié ce dicton. Au lieu de se morfondre sous les draches de la métropole, elle avait pris un congé pour découvrir les îles lointaines et ensoleillées. Le jour de son départ, elle avait été confortée dans son choix par la poudrerie qui avait retardé le décollage de son avion.

 

Dès son arrivée, elle n’avait pas manqué la visite de la fabrique de chocolat, quel plaisir de goûter sur place à son met préféré. Le soir, elle était passée chez le dépanneur acheter quelques babioles. Le marchand avec son air chafouin, l’avait surement prise pour une champagnée. Il ne tarissait pas d’éloges sur sa camelote. Mais Catherine n’aimait pas qu’on la traite comme tous les touristes, ces fadas prêts à acheter n’importe quoi. Elle avait tout de même craquée pour une lumerotte, cette petite citrouille décorée et sculptée qu’elle offrira à son neveu pour halloween.

 

Aujourd’hui à bord du Tap-Tap, elle parcourt les routes défoncées qui mènent à l’ancienne mission. Avec elle, une foule bruyante a envahi le véhicule. Ces dames en habits chamarrés s’interpellent, les messieurs fument en rêvant. Elle s’amuse à la lecture du petit écriteau, au dessus du bouton d’arrêt « Tu appuies quand tu veux, je m’arrête quand je peux ». Il reflète bien la vie sur l’île, pas de stress.

 

En tout cas, ce soir, après tous ces chaos, si elle veut encore être vigousse, elle aura bien besoin d’un bon ristrette.

 

Claudie

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Le printemps d’Hippolyte

 

« – En avril, ne te découvre pas d’un fil. Ah ça, on peut dire que le dicton se vérifie cette année !  dit Hippolyte, l’air bougon, en entrant dans le petit troquet caché au fond d’une ruelle de Belleville. Malgré les cartons, les vieilles couvertures et la chaleur de mon bon Malko, je n’ai pas eu chaud cette nuit sous la porte cochère qui m’a servi de chambre. Et maintenant il drache à vous tremper la couenne. En décembre, avec la poudrerie, on se serait cru au Canada, à Halloween, on avait peine à distinguer les lumerottes dans le brouillard à couper au couteau, et là, au printemps, c’est pas mieux et ça ne me rend pas très vigousse. T’es pas de mon avis, patron ?

 

    – Allez Hippo, cesse de grogner, tu ne changeras rien au temps. Si tu voulais bien dormir dans un centre d’hébergement comme on te le propose, tu serais mieux.

 

    – Rien à faire ! Je les vois venir, les bénévoles avec leur air chafouin, pour m’embobiner. Moi, je sais que je ne peux pas y aller avec Malko et je ne le laisserai pas. On sera ensemble jusqu’à mon dernier souffle…ou le sien.

    – Tu es fada, Hippo, comme on dit ch

ez moi, dans le sud, mais je t’aime bien. Allez je t’offre un ristrette bien chaud. N’empêche que si tu continues à vivre dehors, tu y laisseras ta peau. Tiens, je connais un gars qui a une casse automobile en banlieue et je crois qu’il a un vieux tap-tap haïtien déglingué qui te fournirait un toit en attendant mieux.

 

    – Ah non merci, pas la banlieue, c’est Belleville ou rien ! Tiens, t’as pas un morceau de pain avec du jambon pour me lester l’estomac, le dépanneur du coin ne me fait plus crédit et Malko et moi, on n’a rien dans le ventre depuis hier midi. Me reste peut-être un ou deux euros »

 

Hippolyte se met alors à sortir de sa poche décousue un amas de choses innommables : un vieux mégot, une noix, un euros, une médaille militaire, un bout de ficelle, un briquet….. un papier froissé… qui attire immédiatement le regard du cafetier qui s’en saisit.

 

«  – Mais où as-tu eu ça ? C’est un ticket de loto.

    – j’ai dû le ramasser par terre dit l’autre en continuant l’inventaire de sa poche.

    – Est-ce que…par hasard…ce ne serait pas le ticket gagnant ! Je sais que c’est moi qui l’ai vendu mais personne ne s’est présenté… Attends, je vais vérifier…ça alors ! Hippolyte, tu es millionnaire. »

 

Ne réalisant pas très bien la situation malgré les nombreuses explications que le patron s’évertue à lui seriner, Hippolyte comprend quand même qu’il n’aura plus besoin d’aller dans un centre d’hébergement pour dormir dans un vrai lit. Il se penche alors vers Malko, lui embrasse le museau et lui dit d’un air complice :

 

«  – Mon brave toutou, avec cet argent providentiel, je suis sûr que je vais devenir un vrai champagné et toi et moi, nous dormirons maintenant où nous voudrons. Allez patron, j’offre une tournée générale.

 

Gill

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