Margouillats, cafards, araignées et compagnie

 

 

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Margouillats et cafards

 

Je vais évoquer notre expatriation à Madagascar.

Qui dit repas dit cuisine, mais à Diego-Suarez, cette pièce si importante et si bien aménagée en France, n'est pas comparable à celle de là-bas, à l'époque où nous y étions, bien sûr. Elle était complètement séparée du reste de la maison ou de l'appartement, ou accotée à une autre pièce, ou quelque part dans le jardin ou dans la cour. Souvent simple appentis formé de petits piliers de bois recouverts de palmes ou même de tôles ondulées, ou, déjà plus élaborée, construction "en dur", mais sans fenêtre et la porte n'étant qu'une simple ouverture rectangulaire, sans panneau de fermeture... Venant de Paris, j'étais plutôt surprise de la rusticité des lieux, comme toute personne arrivant d'une ville, je suppose! Mais j'étais heureuse d'une expérience aussi exotique.

Parlons de cette expérience! Les premières fois que je suis passée de la chambre à la "cuisine", (drôle de disposition, bien sûr), surtout le soir, je ne me méfiais pas et j'entendais un petit friselis. Je me suis aperçue que ce léger bruit était causé par des dizaines de cafards se sauvant à mon approche. Mais quels cafards! la longueur et la grosseur d'un bon gros pouce comme les miens, certains marrons et d'autres, que Loulou et moi appelions "ceux en tricot rayé", aussi gros que les autres, mais striés de noir et de beige. Répugnants! Ils me terrorisaient. J'ai vite trouvé la solution pour les voir disparaître très vite. A chaque fois que j'ouvrais la porte de la cuisine, car dans ce premier appartement où nous avons vécu, il y en avait une, je m'arrêtais sur le seuil, je cognais sur le chambranle, puis j'attendais quelques secondes, le temps de laisser se cacher nos hôtes indésirables. Lorsque j'entrais, je savais qu'ils n'étaient pas loin mais je ne les voyais pas.

Par contre, je pouvais observer d'autre "squatteurs", bien charmants ceux-là, et qui étaient mes alliés. Lorsque je savais que tous les peureux cafards s'étaient sauvés, que je pénétrais dans la cuisine, je pouvais observer mes petits copains: les margouillats. Je n'ai jamais eu peur car ils ressemblaient  un peu à des jolis lézards blancs, transparents plutôt. Mes chocs contre le chambranle ne les effrayaient pas: ils restaient tranquillement accrochés sur les parois, grâce à des doigts visiblement armés de ventouses, guettant de leurs gros yeux.

Guettant quoi? Des Malgaches nous avaient dit qu'ils étaient des porte-bonheur de la case et qu'il ne fallait surtout pas les tuer. Aucun risque de ma part: ils étaient trop mignons. Mais j'avoue que lorsque j'ai vu le repas de l'un d'eux, j'ai été au bord de l'écœurement. Je préparais le repas et lorsque le temps passait, si je ne faisais aucun bruit, un ou deux cafards, plus téméraires que les autres, finissaient par pointer leurs antennes. Ce soir-là, donc, tout en cuisinant, j'observais un margouillat chantant son "Tak! Tak! Tak!" de temps en temps, les yeux guettant autour de lui. Lorsqu'un gros cafard est apparu dans son champ de vision! Aussitôt, j'ai vu son attitude se figer, son attention s'aiguiser. Le cafard, inconscient du danger, s'avançait en folâtrant, les antennes prospectant. Lorsque la distance entre les deux ennemis a été suffisamment réduite, nous avons assisté à un spectacle terrible, même s'il fait partie de la vie de la nature. Le margouillat, presque sans bouger, a ouvert la gueule et dans le même mouvement a littéralement attrapé la tête du cafard entre ses mâchoires.  Celles-ci étant si petites par rapport à celle-là, nous avons cru que le combat était perdu d'avance, surtout en voyant le pauvre cafard agiter ses trois paires de pattes (je crois bien que ce sont en effet trois paires, sans en être sûre, mais il y en avait beaucoup!), avec frénésie. Le combat, même si ce n'en était pas un, car avec l'expérience, nous avons compris que le margouillat était toujours vainqueur, a duré longtemps. Peu à peu, le cafard est aspiré par la tête et apparaît par transparence dans le corps de son prédateur, tout en se débattant vigoureusement de toutes ses pattes. Une horreur ! Finalement, lorsque tout le cafard est absorbé, il apparaît quelque temps à l'intérieur du corps du margouillat, tout en le déformant, bien sûr, car il est beaucoup plus large. C'est la difficile loi de la nature. La jungle dans une simili-cuisine...

Jamais plus je n'ai pu regarder à nouveau un tel événement, même si j'ai souvent vu sur le même mur un margouillat digérant un cafard.

 

Fabienne

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Araignées

Je situe ce qui va suivre à Diego-Suarez. En réalité, la scène se passe près d'une ville qui s'appelle Joffreville, là où se trouvait un centre de repos pour les marins et leur famille. Je m'y trouvais à la mi-avril, pendant les vacances scolaires, sans Loulou, car il était en mer, comme d'habitude. Il était très agréable d'y séjourner car, grâce à l'altitude, le climat était tout différent: la chaleur était beaucoup moins forte et enfin, il nous arrivait de ne pas transpirer! Quel délice ! Joffreville était sur une colline, à huit cents mètres d'altitude, à trente kilomètres de Diego. Le centre était l'équivalent d'un hôtel où nous étions hébergés et nourris. J'ai encore très présente en moi l'odeur du pain grillé du petit déjeuner qui flottait aux alentours de la salle à manger, si alléchante quand nous approchions.

Pendant ce séjour-là, pour me distraire, car je me sentais très seule et j'avais très fortement le mal du pays, j'accompagnais les gens qui allaient se promener dans les environs. Ce matin-là, nous devions monter au Pic des Bœufs, mont à mille mètres d'altitude. Le but était d'admirer, si le temps le permettait, un panorama magnifique. Grâce à un ciel parfaitement dégagé, j'ai pu voir de son sommet toute la rade de Diego-Suarez, une des plus grandes du monde, peut-être la deuxième après Rio de Janeiro, ainsi que le canal du Mozambique et bien sûr, l'Océan Indien. C'était superbe ! J'ai précisé "si le temps le permettait", car, en avril, à Madagascar, c'est l'automne et il pleut parfois. Nous redescendions vers Joffreville et nous marchions dans une sorte d'allée bordée d'arbres, de peut-être six ou sept mètres de large. Marchant plus vite que les autres, à un certain moment, j'ai dû les attendre et je me suis retournée. J'ai balayé le paysage des yeux et là, j'ai été horrifiée: une araignée, mais alors, une araignée monstrueuse se tenait, tapie dans sa toile, juste au-dessus du groupe que j'accompagnais. J'ai toujours été terrifiée par ces bestioles, petites ou grosses, mais celle-là était tellement énorme que j'ai cru m'évanouir d'émotion à la seule idée que j'étais passée DESSOUS et qu'elle aurait pu tomber sur moi. Encore aujourd'hui, j'en frissonne d'horreur. Le corps de cette araignée faisait certainement cinq à six centimètres de long. Des pattes bien étalées, je dirais seulement qu'elles étaient très longues et très charnues. Par contre, elle était d'un très beau vert émeraude, tacheté de rouge vif. Je n'exagère pas et peut-être même était-elle encore plus grosse ! Pour le prouver, il suffit de se rappeler que l'allée faisait certainement six ou sept mètres de large. Même en se disant que la toile était tendue entre des branches se rapprochant au-dessus de l'allée, elle était aussi immense, peut-être deux à trois mètres de largeur. Un vrai filet ! Notre monstre se tenait en plein milieu, tout étalé, comme prêt à bondir... Jamais je ne l'ai oublié.

A propos d'animaux exceptionnels pour moi, nous avons eu l'occasion Loulou et moi, de voir une race d'insectes bizarres, mais cette fois-là pas effrayante du tout. C'était aussi pendant un séjour à Joffreville: nous étions réunis pour une fois, Loulou et moi, son bateau étant par extraordinaire à quai..Nous étions partis pour une promenade au pic Badins. En redescendant vers Joffreville, nous avons profité d'un panorama dominant la pointe nord de Madagascar, nous avons traversé un très beau sous-bois sur un chemin  longeant par moment de grands ravins recouverts de "forêt vierge", composée d'arbres et de lianes très très nombreuses. A cet endroit, nous avons eu la chance de pouvoir observer d'étranges insectes. Ils avaient la taille de grosses fourmis, très grosses même, mais à l'extrémité de leur abdomen, ils avaient une sorte d'éventail blanc, exactement comme une queue de paon. Nous les avons observés un certain temps et nous avons pu nous rendre compte que, lorsque nous approchions d'eux, ils « fermaient » leur « éventail ». C'était très très curieux. Ces bestioles étaient bien des fourmis, comme des documentaires nous l'ont confirmé beaucoup plus tard. Quel étonnement de les revoir! Ayant depuis oublié le nom, nous nous sommes demandé qui pourrait nous révéler comment ils s'appellent...

Fabienne

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Safari ants tunnel

wikimédia

 

 

 

Fourmis

En Côte d'Ivoire, les surprises ne manquaient pas non plus. Question insectes, les variétés étaient nombreuses. 

A Buyo-camp, (le "village" des expatriés du chantier), les occasions de sortie étaient fréquentes pour nous. Loulou devait aller tous les jours allumer et éteindre une balise qui servait de repère au pilote de l'avion qui venait régulièrement au camp. Cette piste avait été tracée en plein centre de la forêt dense où une société française construisait un barrage. J'accompagnais fréquemment Loulou et je me régalais alors du spectacle donné par les singes. C'était tout un scénario, toujours le même, fascinant, de regarder comment les parents guidaient les petits pour aller d'arbre en arbre...Et la file était longue.

Mais ne nous égarons pas: mon propos aujourd'hui ne concerne pas les singes mais les insectes et compagnie!

Un midi, Loulou, comme d'habitude, me racontant les faits bizarres ou importants de la matinée, me parla d'une longue colonne de fourmis traversant la piste allant à la balise. Quarante-huit heures durant, il me parla d'elles: malgré le fait qu'il fallait bien à chaque fois écraser la colonie, elles continuaient leur chemin. Le troisième matin ne se passa pas de la même façon qu'habituellement: Loulou, sans doute préoccupé par ses fonctions et ne pensant qu'à les remplir, est sorti de sa voiture, devant la porte du local où se trouvait  la balise. A peine ses pieds on-ils touché la terre qu'il a senti des piqûres aux chevilles. Le temps qu'il baisse les yeux, les piqûres atteignaient les jambes... et il apercevait une petite mare de fourmis grouillantes. Pour se débarrasser de celles qui avaient entrepris de le dévorer il a dû retirer son pantalon, ses chaussettes, s'éloigner un peu pour éviter les autres et arracher une par une celles qui étaient accrochées à sa chair. Chaque fourmi retirée laissait une petite plaie saignante. Le soir même, Loulou m'emmenait à la balise pour voir ces insectes exceptionnels appelés magnans. Nous les avons d'abord observés sur la piste. La colonne, large d'une vingtaine de centimètres était formée de fourmis différentes. Au milieu, elles étaient assez grosses, galopant sans s'arrêter; de chaque côté, elles étaient littéralement énormes, marchant en sens unique, s'arrêtant, semblant surveiller. Lorsque j'ai approché prudemment une grosse brindille de l'une d'elle, elle s'est aussitôt dressée verticalement, en brandissant d'une façon très menaçante une paire de pinces impressionnantes. Mon doigt n'aurait peut-être pas apprécié la morsure qu'elle infligea à la brindille. Chaque sentinelle ainsi titillée a réagi de la même façon. 

A la balise, c'était encore plus spectaculaire à cause de la masse qui grouillait... Et c'est à la fenêtre que nous avons compris pourquoi elles s'étaient déroutées. Sur celle-ci était accroché un nombre très important de nids de mouches-maçonnes et d'autre insectes que je ne connaissais pas. J'attendais depuis longtemps que ces nids soient vides pour augmenter ma collection en les surveillant patiemment à chaque fois que je venais, attendant le jour où les habitants seraient définitivement partis.

Les magnans les avaient appréciés en guise de déjeuner...et je n'ai pas pu augmenter ma collection ...

La vie des animaux de brousse est très surprenante.

Fabienne

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Image par Erik Karits de Pixabay

 

 

Les singes et le premier régime de bananes.

 Cette année-là, nous habitions un "village" de chalets bâtis sur un espace aménagé dans la forêt dense, au nord-ouest de la Côte d'Ivoire. Notre case se dressait à la lisière de la forêt, à environ cinquante mètres des premiers arbres. La situation explique ce qui va suivre.

Un beau matin, j'ai accompagné Loulou en forêt pour qu'il y cueille un régime de bananes qu'il avait repéré quelques jours auparavant. Sa chemise s'en est souvenue, car j'ai eu un mal fou à retirer, à force de la frotter à l'eau de Javel, la sève qui avait coulé dessus!  Dialo, notre boy, s'est extasié comme il se doit à notre arrivée et a félicité Loulou de cette cueillette. En effet, les Africains sont très surpris lorsqu'un Blanc agit comme eux. Loulou venait de faire ce que peu de ses collègues auraient fait à Buyo-camp, sinon aucun. Puis il a pendu le régime sur la terrasse de la case.

Il faut savoir que le bananier n'est pas un arbre mais une plante. Les bananes sont sans doute les seuls fruits qu'il est nécessaire de cueillir avant qu'elles soient mûres. Il faut surveiller le régime qui pend du bananier, de temps en temps aller voir où en sont les bananes: sont-elles assez rondes? Non, les "arêtes" sont encore trop prononcées. Il faut attendre. Lorsqu'on constate que les fruits sont bien dodus, c'est le moment de couper le régime. Bien sûr, ils sont tous verts, mais c'est normal. D'ailleurs, même prêts à manger, ils sont toujours verts. C'est simple: on coupe le régime, on le suspend et on attend que les premières bananes soient comestibles. 

Dialo m'avait dit qu'il m'indiquerait le jour où nous pourrions goûter à notre récolte; "Dans quelques jours", avait-il dit...

Ceux qui connaissent mon degré de patience comprendront qu'au bout de "quelques jours", peut-être une semaine, j'ai commencé à demander à Dialo: "Est-ce le jour, Dialo?", ce fut "non!". Et, de jour en jour, c'était toujours  " Non!", puis ce fut" Bientôt!". Et enfin: "Demain!".

Jour divin pour un Français qui cueille lui-même son dessert...africain et va le déguster. Nous nous sommes donc couchés avec cette idée.

Au niveau de l'équateur, tous les matins, le jour se lève à six heures cinq, donc à Buyo-camp et ses environs et l'aube dure à peine dix minutes. Ce petit laps de temps était toujours précédé des "Tuit tuit tuit tuit ! Tuit tuit!" modulés sur deux notes par un oiseau  invisible, chant charmant qui nous annonçait le moment où nous allions nous lever. Le matin prévu, notre petit oiseau s'égosillait depuis un moment, semblant nous dire: "Je vous annonce qu'il est bientôt l'heure de vous lever!". Mais d'un seul coup, il se tut et, à la place de son chant, j'ai entendu une série  de chocs sourds répétés sur la terrasse en bois, comme un remue-ménage, très bizarres, le tout impossible à définir. Après une courte attente, je me suis levée, j'ai traversé la chambre puis le salon et j'ai soulevé tout doucement le rideau. Sans doute pas assez rapide ou insuffisamment silencieuse, je n'ai pas surpris la scène  entière mais le dénouement: j'ai vu un grand singe sauter par-dessus la balustrade de la terrasse et s'enfuir à toutes pattes, suivis par quelques copains complètement affolés mais très très rapides dans leur fuite. Une seule et unique direction pour la petite troupe : la forêt salvatrice lui tendant les bras à une cinquantaine de mètres seulement... Sans doute, lui et ses copains, toujours sur le qui-vive, m'avaient-ils entendue. 

En tout cas, le fruit de leur chapardage était bien là: des peaux de bananes s'étalaient narquoisement sur la terrasse, dans tous les sens, le régime se balançait encore, le tout semblant vouloir nous dire:

*Première moralité:...les bananes étaient bien mûres! Dialo ne s'était pas trompé...

*Deuxième moralité: les animaux de la brousse sont bien plus intelligents que les Blancs.

*Troisième moralité: nous avons planté des rejets de bananiers dans notre jardin  pour pouvoir surveiller plus facilement nos bananes, à partir du moment où Loulou n'a pas pu cueillir sur SON régime le fruit qu'il guignait chaque jour...le retrouvant un beau matin tout dépouillé de ses trésors et les peaux éparpillées par terre. Nous n'avons jamais manqué de bananes de notre jardin pendant les deux ans de notre séjour... 

Fabienne

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